Sous l'affaire Jospin... 
le lambertisme !

Mon double noir Ubu traite l'affaire Jospin à sa manière, plutôt meilleure que celle des nobles médias, et qu'on appréciera comme il se doit. Je ne me mêlerais pas de ce feuilleton politicien vulgaire, s'il n'avait pas été l'occasion de remettre sur le tapis l'illustre Lambert et ses organisations à tiroirs et changemnts à vue. Et de se gargariser sur les « frères ennemis », leur scissionnite caractérielle, leur impuissance ridicule et - tout de même - leur dangerosité, le tout traité avec l'humour et les injures d'usage, dosés selon la nuance desdits medias.

Comme nombre de mes lecteurs potentiels ignorent certainement l'histoire du trotskysme, et n'ont pas lu mes « Notes sur notre histoire », publiées dans l'excellente revue (publicité gratuite) Critique communiste, je rappellerai ici quelques éléments de la biographie du sieur Lambert, beaucoup moins glorieuses que celles qu'il a fait imprimer dans sa  Légende dorée mâtinée par la méthode stalinienne du Précis d'histoire du PC(b)...

Sans remonter aux conditions qui l'avaient conduit à être interdit de responsabilités dans le CCI (Comités communistes internationalistes) pendant la Guerre mondiale, et en arrivant au Déluge de 1952,  non seulement il ne fut pas le dirigeant de la lutte contre le tournant pabliste (proximité de la Guerre mondiale, et, dans cette perspective, entrée dans les PC pour être dans le « Camp prolétarien » sous domination stalinienne), mais il ne se rallia à la majorité française, dirigée par Marcel Bleibtreu et Marcel Gibelin, qu'après avoir échoué à négocier un accord avec Pablo. Après la grande scission (un an plus tard devenue mondiale), c'est sur la profonde démoralisation de l'aile ouvrière du PCI que Lambert appuya son fractionnisme, et  réussit d'abord à obtenir l'exclusion de M.Gibelin, puis, lorsque éclata la guerre d'Algérie, et prenant parti pour le courant de Messali Hadj-Belounis, à exclure au début de 1955 la tendance qui s'était formée contre lui, et connue maintenant sous le nom de « Bleibtreu-Lequenne ». Dans son histoire romancée (soigneusement reprise par Le Monde), il a dû tout de même admettre que, peu après, il n'avait plus avec lui qu'une cinquantaine de militants.

Le lambertisme commence là. Son histoire obscure n'est pas écrite. Elle se caractérise par une extériorisation radicale anti-stalinienne et des pratiques sourdes du pire opportunisme (en particulier dans FO, dont il constitue une aile dure des directions successives), des rapports serrés avec la Franc-Maçonnerie et jusqu'avec des hommes d'extrême-droite, du type d'Alexandre Hébert, et des magouilles de toutes sortes. La plus constante de ses activités publiques est dans sa tentative de cosntruire une Quatrième Internationale bis. Efforts vains : les rassemblements qu'il tente s'effondrent les uns après les autres ; les organisations qu'il essaie de regrouper étant comme la sienne dirigées par des caudillos qui n'acceptent pas sa suprématie.
L'affaire Jospin éclaire un aspect particulier de cette étrange configuration lambertiste. Sa proximité avec toutes les ailes du réformisme l'a conduit à une longue pratique de l'entrisme, en particulier dans le PS. Mais, contrairement à l'opinion courante, le grand manipulateur Lambert se révèle finalement surtout un flanc-garde des organisations qu'il pénètre. Et c'est de ce fait que bien des jeunes, qu'il a formé au cynisme manoeuvrier, comprennent vite qu'ils ont mieux à faire à appliquer ses principes dans la politique « sérieuse » que dans son groupuscule sans horizon. Tel fut certainement le cas de Jospin : servir le Machiavel-Mitterrand, c'est tout de même autre chose que servir le machiavel-Lambert !

Mais un aspect curieux apparaît dans l'attitude de Jospin au Parlement : il n'a pas dit qu'il avait rompu avec l'OCI parce qu'il avait pris conscience que c'était une organisation d'aventuriers, ou de gens pas sérieux, et d'ailleurs sans envergure ; mais il a dosé sa prise de distance de compliments sur les gens de valeur qu'il avait rencontré là (et, sans aucun doute, cela ne visait pas un Boris Fraenkel qui venait de l'assaisonner). Cette mesure ne cache-t-elle pas quelques secrets communs dont il ne tient pas à provoquer la mise à jour ?

Un aveu psychanalytique

En sa « Prise de bec » du Canard enchaîné du 16 juin, Patrice Lestrohan s'est bien amusé de la manière dont le dauphin de Lambert, le dénommé Gluckstein, s'est défoncé pour expliquer la traîtreuse intrusion de Jospin dans l'OCI. Recopions : « Il a existé depuis 1979 un groupe secret clandestin, organisé sous l'égide de François Mitterrand pour infiltrer les rangs de la section française de la IVe Internationale.» Evidemment , Mitterrand avait une telle frousse d'être débordé par le trotskysme lambertien, qu'il lui fallait envoyer des troupes de choc, avec Jospin à leur tête, pour l'infiltrer et le détruire de l'intérieur. Voilà ce que Jospin aurait dû avouer au Parlement, et il était plus que lavé des reproches d'une jeunesse trotskyste ! Que n'a-t-il consulté Gluckstein, au lieu de s'empêtrer dans ses mensonges ?

Mais après avoir bien rigolé, interrogez-vous sur cette argumentation acadabrantesque (comme dit le copain de Lambert). Il y a un aveu psychanalytique caché dans cette histoire idiote : il y a bien eu un entrisme secret en 1979, visant à détruire de l'intérieur la IVe Internationale (la vraie, pas celle de Lambert), un entrisme lambertiste dans la LCR, et menée par un certain Sedjouk (alias Gluckstein), et qui, grâce à la complicité intérieure d'un certain Filoche, réussi à entraîner quelques dizaines de militants vers l'OCI, vite perdus par cette secte d'ailleurs. Nous n'irons pas jusqu'à soupçonner que Mitterrand était pour quelque chose dans cette affaire, mais s'il l'a connue, il n'eût en effet qu'à s'en féliciter.

Paris le 17 juin 2001