Terroristes, dites-vous ? 

  Les mots changent de sens. Il nous faudra les (re)définir pour nous entendre.

    Par exemple, prenons deux mots qui s'entendent tous les jours : « terrorisme » et « terroristes ».

     Hier, cela désignait les individus et groupes qui pensaient pouvoir atteindre leurs buts politiques par des effets de terreur, ciblés (par exemples les narodniki dont les bombes visaient des généraux ou des tsars), ou aveugles (à la même Belle Epoque, les anars du type bande à Bonnot). Les marxistes tentèrent bientôt de leur expliquer qu'au-delà des aspects moraux plus que douteux de ces actions, elles aboutissaient à des résultats inverses de ceux qu'elles étaient censées atteindre. On sait que cela n'a pas empêché le terrorisme de réapparaître depuis un peu partout. Et Trotsky en a donné la raison dans la critique qu'il a faite du roman de Malraux, les Conquérants (rééditée maintenant dans son recueil Littérature et Révolution, éd. de la Passion), à savoir que le terrorisme est l'effet du désespoir révolutionnaire, de son impuissance à trouver une voie rationnelle à ses fins, et que ce désespoir et cette impuissance signent la faillite, la défaite, ou l'immaturité des grandes organisations des classes ou nations dominées. Ainsi, Brigades rouges et Bande à Bader, entre autres, manifestaient une telle situation de désespoir. post-68, et l'ETA manifeste aussi la même révolte dans l'impasse.

    Mais aujourd'hui, les médias nous collent du « terrorisme » et des « terroristes » pour tout ce qui s'oppose par les armes aux puissances nationales et internationales, voire jusqu'aux gamins palestiniens qui lancent des pierres aux tireurs d'élite israéliens.  Le « droit à l'insurrection », que garantissait la Déclaration des Droits de l'Homme de notre Ière République, est niée internationalement. Qui résiste par les armes à quelque dictature ou despotisme que ce soit devient illico « terroriste » et, de ce fait, se voit opposer... un véritable terrorisme d'Etat !
   Car c'est cela qui domine l'actualité de notre entrée dans le siècle :

Au peuple palestinien qui se révolte de voir tous les traités, accords, et même décision de l'ONU violés par Israël, Sharogne répond par un terrorisme aveugle de meurtres de civils et de destructions de quartiers entiers, par tanks et avions, à raison de dix morts pour un blessé, pour obliger les dirigeants palestiniens à céder à ses diktats.
A la minorité musulmane de Macédoine qui se soulève pour obtenir l'égalité politique (réclamée depuis des décennies) avec les orthodoxes de cet Etat, l'Etat macédonien, appuyé par toutes les puissances d'Occident, répond en détruisant des villages, et le justifie avec cynisme en proclamant que ces Oradours sont les « boucliers humains » des guérillas.

En Tchetchénie, c'est un pays tout entier qui a été détruit, et ses habitants tués, torturés, violés, martyrisés, par les pires moyens terroristes, pour l'obliger à se soumettre à la domination russe.
Mais le plus grand Etat terroriste du monde, ce sont les Etats-Unis. Il n'est guère de coin du monde qu'ils ne tendent à soumettre par la violence aveugle contre les populations civiles. Le cas le plus net étant celui de l'Irak où, pour soumettre un dictateur, rebelle à leur propre dictature pétrolière, ils affament une population où tous les jours les enfants crèvent comme des mouches. Moins visible est le terrorisme qu'ils exercent en Amérique latine, par armées et bandes armées interposées.Cette superpuissance, dont la main conduisait le corps de Pinochet de son coup d'Etat à la fin de son règne ; dont la CIA finançait (avec de l'argent sale) les contras qui ruinèrent la révolution sandiniste ; maintenant ruine la Colombie pour vaincre la guérilla sous les coups de leur armée de mercenaires-bandits.

Les mots « terroristes » et « terrorisme » n'ont donc de sens que si on les inverse de leur usage courant dans nos médias. CQFD.

Paris le 24 mai 2001