Le jospino-lambertisme... ça continue

Je croyais que ça allait retomber comme un soufflé ! Et bien non ! Ca continue, à pleines pages du Monde (sans compter les journaux que je ne lis pas). Et même Politis, avec un édito et un article de Mélenchon ! En plus, quelques vieux trotks (comme nous disions), et même des pas vieux, qui, s'ils ne sont plus organisés, n'ont en rien renié leur passé et ne se sont pas rangés des voitures, ont signé un texte auquel il m'a été agréable de joindre mon nom, parce qu'en dépit de désaccords d'avant-hier, d'hier, voire du présent, ce sont tous gens que j'estime (voire, pour un certain nombre, que j'aime), précisément parce qu'aucun d'entre eux ne considère que le trotskysme, c'était un truc de sa folle et naïve jeunesse, dont on se raconte les histoires d'anciens combattants en souriant du fond du fauteuil de quelqu'un qui s'en est bien sorti. Cela tranche avec les discours dominants. Mais, en dehors de ceux qui n'ont qu'un but : « déstabiliser Jospin pour la prochaine présidentielle », du côté de la défensive, y  il a une constance dans tous les articles,  précisément celle que nous refusons, nous les signataires du papier paru dans le Monde du 2I juin, le thème :  « Tout le monde en a été, ou presque », même Félicie ( ?) ajoute Mélenchon, qui donne même un chiffre : 80 000 ! Mince ! J'ai beau recompter, je n'arrive pas à 5 000 de 1940 à 1968 ! A la sortie de la Guerre mondiale, moins de 250 d'après Marcel Gibelin. De 1946 à 1948, au plus haut de notre PCI, moins de mille, comme je le dis un jour à André Marty qui questionnait Bleibtreu (et j'avais été le secrétaire à l'organisation), et croyait au vu de notre activisme que nous avions été de 10 à 15 000 en ces années d'avant scissions.De ce triste temps de 1952 à 1968, tous les groupes se comptèrent par dizaines de militants, et remontèrent péniblement la pente vers les centaines.  Il est vrai que je ne sais pas ce qui a été compté comme militants par Mélenchon pour ces années soixante et soixante-dix.

Mais ne faudrait-il pas savoir d'abord ce que c'est qu'un trotskyste.

            Demandez à un militant quelconque du mouvement social. J'ai fait l'expérience. J'ai eu cette réponse : « un militant de l'extrême-gauche ». Pas mal, mais un peu large. Mes amis du Maitron, dans leur tribune du Monde  du 13 juin, en tant qu'historiens, ont une définition qui tend à la rigueur : ce sont les membres des organisations se réclamant de Trotsky. Plus précis ! Mais précision trompeuse. Et des deux côtés de la définition.

Côté face : n'est-on plus trotskyste si l'on n'appartient plus à une organisation trotskyste (comme c'est mon cas) ? On est là obligé à demander aux intéressés comment ils se considèrent eux-mêmes. Et pour moi  ?  Et bien, ça dépend ! Si c'est à un réactionnaire que je parle, je luis dis, « Oui, je suis toujours trotskyste ». Si c'est à un militant d'extrême-gauche, je lui réponds : « Le trotskysme proprement dit correspond à une époque historique précise, je suis toujours un marxiste, donc un révolutionnaire, et à ce marxisme authentique appartient l'apport décisif de Trotsky, mais aussi celui de Lénine, de Rosa Luxembourg et de quantité d'autres dont le grand Ernst Bloch, et des contemporains dont je tais les noms par respect de leur modestie, car, précisément, ce marxisme là n'est pas fermé, mais ouvert, se continue et se continuera tant qu'il y aura exploitation et oppression de l'homme par l'homme. »  A des gens d'entre ces deux groupes, j'essaierai d'expliquer que le trotskysme a été la continuité du communisme au travers de la perversion du stalinisme, que c'est donc le communisme au sens propre du mot. Je suis sûr de ne pas me tromper en pensant que mes co-signataires du papier du Monde approuveraient ce que je viens d'écrire.

Mais, il y a le côté pile de la définition de mes chers historiens. Est-ce que les trois organisations qui, en France, « se réclament du trotskysme » répondent aux deux dernières de mes réponses ?  Bien ou mal - ce n'est pas mon sujet ici - la LCR et LO s'efforcent d'être des organisations communistes révolutionnaires. Mais toute l'affaire qui préoccupent nos médias, c'est la  troisième avec ses noms successifs à tiroirs et étages : l'OCI-PCI-PT.  La plupart des chroniqueurs ignorent son origine et s'instruisent là-dessus dans ses propres textes. Ceux qui revendiquent d'y être passés ou le reconnaissent - comme Jospin lui-même - ont une mémoire historique qui ne dépasse pas les années 60 , et plutôt la fin que le commencement. Ils sont entrés dans une organisation aux mécanismes déjà rodés, comme système... à double face. Beaucoup insistent sur la virulence de l'antistalinisme de cette OCI. Cela n'allait-il pas jusqu'aux pires violences physiques de ses jeunes groupes de choc ! (Dans le même numéro de Politis,  Fabrice Nicolino ne voit-il pas le lambertisme comme le « courant le plus dogmatique et violent de la galaxie trotskyste ». Mais quelles pratiques derrière cette façade ? Denis Sieffert (toujours dans le même Politis) croit encore que le PS d'Epinay et le CERES de Chevènement étaient alors plus radicaux que la LCR d'aujourd'hui ( sic), mais il ajoute en revanche fort correctement -  Et il sait de quoi il parle - que « l'Organisation communiste internationaliste n'a jamais été à proprement parler une organisation d'extrême gauche (quel contresens) ». Au-delà de ce qu'on en savait de vieille date  - aile marchante de la direction de FO, contacts serrés avec la Franc-maçonnerie, etc. - l'«Affaire » fait ressortir d'intéressantes révélations. Le Canard enchaîné, qui a d'excellentes archives,  expose dans son n° du 20 juin, comment lors de l'élection présidentielle de 1988, le candidat Pierre Lambert-Boussel  « déchaîné contre Tonton, dont la réélection Œouvrirait le voie au fascisme' » (sic), émettait en même temps le souhait de voir « M. Jospin devenir ministre » Voilà qui est plus compromettant que tout ce que ses ennemis ont pu dire contre lui jusqu'ici. Enfin, Olivier Spithakis, abandonné par le PS devant la Justice, vend le morceau du financement des organisations lambertistes par ce PS (le Monde , des 23 et 24 juin). Voilà qui règle le problème. Le lambertisme n'a jamais eu et n'a de trotskyste que le plumage et, pour sa vraie nature, voir  les papiers précédents de ce journal.

            Cela devrait aider Jospin à s'en tirer. Mais pas Lambert, son PT et autres masques. Ce qui serait de bonne salubrité publique.                                                      

Visites de chefs d'Etat

 Bachar El Assad, président de Syrie, et aussitôt après Sharon,  ministre en chef d'Israël, vont se suivre dans les salons de notre Etat. Ce sera avec ces poignées de mains chaleureuses, sur lesquelles s'attardent longuement les écrans de notre télé, pour signifier que, demain, tout va aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pacifiques.

Mais pour le premier, le Monde du 24-25, publie une terrible dénonciation de ce dictateur intolérant, violent oppresseur des minorités, et d'ailleurs « ennemi de la France ». C'est signé des noms de dirigeants d'organisations qui vont de SOS-Racisme, et du Mouvement des jeunes socialistes à ceux de l'UDF, et des Fils et Filles des déportés juifs de France à lŒAmitié judéo-chrétienne. Leur protestation conclut : « Les représentants de la République française ne devraient pas dîner avec n'importe qui. »

Voilà une voie ouverte. Demain, les mêmes vont certainement récidiver pour Sharon, qui peut rivaliser d'autant mieux avec Bachar El Assad que celui-ci est jeune et depuis peu au pouvoir, tandis que le second, depuis Sabra et Chatila jusqu'aux chars contre les pierres a une remarquable avance. Prévenu, je joindrai alors ma signature aux leurs. Et, dans la foulée, pour chaque dictateur sanglant des quatre coins du monde, y compris Bush et Poutine, co-tenants actuels du titre de plus grand assassin étatique.

Il me vient cependant un doute : ces organisations et noms ne sont-ils pas très sélectifs dans leurs dénonciations. N'y aurait-il pas pour eux des bons et des mauvais chefs d'Etat assassins ? Sharon serai-il bon alors qu'El Assad est mauvais ? La majorité de noms juifs dans l'appel en question prête au soupçon que ce n'est qu'un prise de parti dans le conflit du Moyen-Orient. Et, de leur part, c'est d'autant plus grave que c'est apporter de l'eau au moulin antisionisme = antisémitisme, par un esprit communautariste qui refuse de voir que la politique d'Israël inverse le rapport de racisme, oppression, répression, génocide qui a conduit à la « Solution finale » hitlérienne, et cela avec le même argument d'un droit millénaire, racial hier, religieux aujourdhui.

Paris le 27 juin 2001