La Guerre des Monstres II

Des tas de questions se posent à propos de la Guerre des Monstres.
Ainsi, Angel m'écrit d'Argentine. Il a été frappé du parallèle qui a été fait entre Pearl Harbor et les attentats contre Wall Street et le Pentagone.

Un dialogue est ainsi intervenu entre nous :
Lui :  Que fut donc Pearl Harbor ? A côté du fait historique de l'attaque de la flotte américaine du Pacifique par l'impérialisme japonais, c'est un autre fait connu qu'qu'elle servit à assurer la cohésion de l'opinion publique nord-américaine - qui n'était pas gagnée d'avance -  autour de la décision d'intervention dans la guerre inter-impérialiste d'Europe. Et il est aussi  parfaitement connu que les services secrets étaient avertis qu'une attaque se préparait contre la flotte et que rien ne fut fait pour l'empêcher. Le présent attentat ne fut-il pas lui aussi annoncé, et par le milliardaire Ben Laden lui-même ? Et il y a bien une situation économique, politique et sociale qui impose à la direction du capitalisme nord-américain la nécessité d'assurer la cohésion de son opinion publique et politique, nationale et mondiale, pour assurer son hégémonie unilatérale dans un monde unilatéral.

Moi : La ressemblance est évidente. Mais aussi la disproportion, dans les deux cas, de ce qui était attendu et de ce qui est arrivé. A Pearl Harbor, une attaque à laquelle on pouvait répondre en une bataille, « classique » en somme, entre aviation et marine de guerre, et le surgissement des avions « kamikazes » détruisant quasi toute la flotte. Aujourd'hui, si la CIA s'attendait à ce que son ami Ben Laden passe aux actes, ce n'était sûrement pas à un pareil cataclysme. Et ce qu'on apprend de l'incurie de cette CIA permet même de penser qu'elle n'avait rien prévu du tout.

Lui : Probable en effet que les services secrets ne pouvaient connaître avec exactitude la nature des attentats, leurs objectifs précis et leur dimension, mais personne ne pouvait ignorer que ces attentats se produiraient. Il semble incroyable qu'avec les moyens techniques sophistiqués dont dispose l'impérialisme le plus puissant du monde, capables de photographier un pois chiche à six mille mètres d'altitude, et de voir venir n'importe quelle attaque de missiles et de les détruire en vol, il ait été incapable de vérifier et d'empêcher le vol hors de leur route de quatre avions commerciaux. Sincèrement, je ne le crois pas. Mets cela sur la formation culturelle de quelqu'un qui vit dans le « pré carré » de l'impérialisme américain . C'est loin d'être une conception « policière » de l'histoire, cela découle d'une vieille expérience. Je ne soupçonne absolument pas l'impérialisme d'avoir organisé cet attentat, mais je dis qu'il l'a laissé faire, et que maintenant, il va l'utiliser comme couverture contre les peuples exploités et opprimés du monde. Il se peut que personne n'ait compris les entrelacs de ces événements, comme il était très difficile de déterminer les entrelacs de l'assassinat de Kennedy, du plan Condor, du coup d'Etat de Pinochet et de l'assassinat d'Allende, ou des plans pour liquider Che Guevara et de l'assassinat par milliers des militants de la gauche latino-américaine, mais ce que nous savons - et cela sans le moindre doute - c'est que tout cela s'est fait en défense des intérêts de l'impérialisme mondial, et sans le moindre scrupule humaniste. Ce qui nous importe n'est pas d'établir le détail du fait historique mais d'en saisir les conséquences politiques, économiques et sociales dans le cours de l'histoire humaine.

Moi : Je crois que tu surestimes la CIA et ses moyens. Leur sophistication même ressemble à ces « ailes de géant (qui) empêchent de voler ». Et la guerre du Kosovo a montré que leurs avions qui voient tout ne les empêchent pas de toujours taper à côté. En plus, rappelle toi que lors de cette guerre, leurs plans de Belgrade étaient si vieux qu'ils ont bombardé l'ambassade de Chine en ne sachant pas qu'elle était là. En fait, leurs espions tout-puissants n'existent qu'au cinéma (plus la guerre commerciale en complet veston derrière l'ordinateur contre... leurs alliés). De même qu'une mitrailleuse ne sert à rien contre des moustiques, de même les avions espions, satellites et ordinateurs n'ont rien pu contre les couteaux de camping de « fous de Dieu », sûrs d'aller droit au paradis d'Allah en entraînant dans la mort quelques milliers d'« infidèles ». C'est là le paradoxe de notre temps d'entrée dans la barbarie. C'est une vraie illustration de la Guerre des Monstres.

Reste l'autre versant de ta réflexion : l'utilisation de l'horreur au profit de l'impérialisme. Et là, le cynisme joue parfaitement du jobardisme yankee dominant. D'un seul coup, le minable mal élu, le petit millionnaire texan ignare, est devenu le grand Cow Boy Universel. A tel point qu'il fait même un peu peur, non seulement à ses alliés, mais même à ceux de ses proches qui sont un peu moins bêtes que lui, lesquels, tous, d'une seule voix - timide tout de même - lui suggèrent de faire attention à ne pas faire de conneries.

Lui : Les faits sont évidents : une administration comme celle de Bush le Petit, qui n'avait même plus de majorité parlementaire, a obtenu dès l'attentat l'appui unanime des républicains et des démocrates, et même d'être ovationné, debout. Mais bien plus, les misérables gouvernements latino-américains, auxquels il est difficile de justifier leur adhésion à la direction politique yankee, viennent de remettre à flot le traité interaméricain d'assistance réciproque (TIAR), de vieille date sans autre application que de défense des intérêts nord-américains. Il suffit de se souvenir des invasions du Guatemala (contre Arbens démocratiquement élu), de Saint-Domingue, de Grenade, etc. Aujourd'hui, il est remis en vigueur pour unir les armées latino-américaines, au service des yankees contre un ennemi innommé, mais qui n'a qu'un seul nom : les exploités et opprimés de l'Amérique latine. Déjà s'élèvent des voix dans tout le continent pour résister à cette nouvelle agression. En notre pays, après vingt-cinq ans de coups d'Etat militaires, on déclare aujourd'hui que les lois votées dans le cadre de la « récupération démocratique » de 1983, interdisant l'ingérence des forces armées dans les services de l'Intérieur, sont obsolètes, et qu'il faut que se réorganise le système répressif : situation très inattendue pour une population aussi sensibilisée par les crimes de la dictature génocidaire. Je ne dis pas que cela va réussir, mais que, par la grâce de l'Attentat, cela peut se tenter. La guerre de la Justice infinie que propose Bush le Petit, et sa « Croisade, n'est pas seulement contre les Talibans aujourd'hui, demain contre l'Iraq ou contre le Pakistan, mais contre tous les points du monde où il y une résistance. Et il n'y a aucun doute que ce soit à l'échelle universelle. Et d'abord contre les militants anti-globalisation capitaliste qui se manifestent mondialement.

Moi : C'est vrai. Le principal est déjà gagné : la récession est mise sur le compte de l'attentat. La ceinture universelle devra être serrée pour faire face au Terrorisme du Grand Satan. Le monde entier devra accepter la dictature des USA. Le mot a été lâché :

QUI N'EST PAS AVEC NOUS EST AVEC LES TERRORISTES !

Et nos bons ministres européens qui nous engagent - sans nous demander notre avis - en assurant qu'ils veulent des garanties, des précautions, et surtout pas d'amalgames, sont comme le valet de Don Juan qui renâclait mais faisait ses quatre volontés. De même nos sages intellectuels  modérés, qui expliquent que Bush et C° vont comprendre qu'il faut changer de politique, en finir avec l'arrogance, l'écrasement des miséreux de la planète, stopper la main de Sharon contre la Palestine martyre, etc. se foutent le doigt dans l'oeil jusqu'au coude. Bush n'a pas été mis à sa place contre toute légalité pour ça, mais pour le contraire ! Et il a maintenant pleine liberté de faire ce qu'il veut.

 Eh bien ! Non ! Mister Bush.

Chicago porté à l'échelle mondiale ne nous fait pas choisir entre les gangs.

Nous ne sommes pas avec vous, avec votre CIA, ses plans « Condor », ses contras, ses paramilitaires, venus et à venir, ses trafiquants de drogue et ses assassins ;

Nous ne sommes pas avec votre Arabie Saoudite féodale, esclavagiste, intégriste et pétrolière ; avec votre Pakistan producteur de Talibans (à propos, ne cherchiez-vous pas quels Etats étaient derrière les kamikazes, et à qui le crime profite ? Regardez donc un peu dans ces deux directions) ;

Nous ne sommes pas avec votre Poutine, dégoûtant de sang tchetchène ;

Nous ne sommes pas avec votre Sharon massacreur terroriste des Palestiniens.

Nous ne sommes pas avec votre OTAN et ses serviles Blair, Chirac, Berlusconi, Schroder et autres leaders européens de moindre calibre.

Nous ne sommes pas pour autant avec vos compères d'hier, terroristes aujourd'hui, mais partageant toujours les inviolables mêmes comptes en banque que vous.

Nous sommes avec... tous les peuples de l'Orient (Proche,  Extrême ou  Moyen), de l'Amérique latine, de l'Afrique et de notre Europe -  ce qui fait beaucoup de monde -, vos victimes d'hier, d'aujourd'hui, de demain ; et en particulier et d'abord de l'Afghanistan que vous avez contribué à saigner et qui est actuellement votre cible,  de l'Iraq, de la Libye et de la Syrie dont vous semblez bien vouloir régler le sort par la même occasion.
Nous vous prévenons, Mister Bush : Vous en faites trop. Provincial comme vous êtes, vous ne voyez que la masse de vos concitoyens traumatisés et soignés au chauvinisme virulent. Mais le reste du monde ne marche pas. Vos grimaces de cinéma ressemblent trop à celles de vos séries de notre TF1.

Paris le 25 septembre 2001