Guerre des Monstres III
Le Deuxième  Acte

«Pourquoi ne nous aiment-ils pas ?
Nous sommes bons ! »

Bush dixit - 12 octobre

La riposte de l'Internationale du Bien contre l'Internationale du Mal a commencé. En réponse  aux six mille morts des tours du World Trade Center et du Pentagone répond la pluie de bombes sur les objectifs supposés talibans de l'Afghanistan. Les bavures collatérales sont la triste nécessité d'une guerre sans morts yankees et sans casse du matériel coûteux. Et puis, notez bien que les généraux du Bien s'excusent à chaque fois qu'ils tapent à côté, ce qui prouve bien qu'ils sont civilisés.

Résultat après dix jours de pilonnement  ?  Ben Laden et les talibans ne se portent pas mal - merci ! - et le monde islamique tout entier est en ébullition.

Certes, la défaite rapide et totale des talibans étaient possible, voire facile. Il suffisait d'une aide légère à l'Alliance du Nord, et ses forces seraient déjà à Kaboul.

Oui ! Mais... Moucharraf ne veut pas. La condition de son retournement contre  ses amis et frères talibans et arabes benladéniens a été claire : bloquer l'Alliance du Nord en attendant que l'on prépare pour Kaboul un autre pouvoir, majoritairement pashtoun (et avec des talibans « modérés » -sic), à la botte du Pakistan.

Que la population afghane continue à crever de faim et de misère, sur les routes ou dans les camps de réfugiés, est peu important. Les USA ont le temps ! Tant que la guerre  dure, dure l'union sacrée, toute opposition muselée. « La guerre va durer », nous prévient Bush. Avec, par là-dessus, un peu de terreur  bien organisée sur le « terrorisme biologique » : qui aura le culot de se plaindre d'être licencié patriotiquement ?

Que serait devenu Bush sans la Guerre des Monstres ? Sa nullité serait apparue brutalement dans la récession en cours. Comptez donc sur lui pour faire durer le fondement de son élévation en héros mondial de la Guerre du Bien.

Bien entendu, à condition que le Mal ne reprenne pas le premier rôle dans un troisième acte. Par exemple : en réussissant à renverser Moucharraf !

C'est fou ce que les Etats musulmans, alliés du Bien, sont pâles des genoux.

Fou ce qu'il leur est difficile de concilier l'intégrisme coranique et l'amitié pétrolière avec le superprince des Infidèles, leur sympathie pour Ben Laden et leur inféodation au système capitaliste.

 Et, d'autre part, les Alliés européens sont aussi pâles des genoux (la colonie britannique de Blair exceptée qui, en échange de ses avions et  guerriers supermen, protège ses banques blanchisseuses d'argent sale). Les dirigeants ont beau proclamer que l'Europe est comme un seul homme dans la coalition Sainte Alliance, l'opinion publique ne suit pas. Si Bush peut compter sur la fermeté d'un Berlusconi, aussi « croisé chrétien» que lui, et d'un Chirac (qui compte là-dessus pour se faire réélire), il suffit de regarder le minois d'un Jospin et d'un Schroeder pour voir qu'ils se sentent un peu à l'étroit dans l'uniforme Otanien. Et si les manifestations anti-Guerre des Monstres sont encore minoritaires, il fait peu de doute que le jeu des prolongations, les multiplications de bavures, voire les extensions sur des fronts de substitution (comme l'Iraq, montrée du doigt, par exemple), sans compter les retournements éventuels de situation ne vont pas arranger les choses. Au très solide et argumenté anti-américanisme primaire, s'en ajoutent chaque jour des secondaires et tertiaires.

Jospin devrait y réfléchir : électoralement, il n'est pas sûr que Chirac ait les meilleures cartes dans son jeu. Dans six mois la politique va-t'en-guerre peut être la moins payante.

Sur ce front de l'opinion publique, le contre-terrorisme moral se déchaîne, mais reste assez minable. Ainsi, nous avons eu successivement dans Le Monde, le 4 octobre, une Monique Canto-Sperber, sous-berlusconienne, partant en guerre contre Trotsky, et son Leur morale et la nôtre (pourtant d'une belle actualité), pour s'indigner qu'on puisse comparer le terrorisme de l'intégrisme musulman et celui de l'impérialisme capitaliste, refuser toute tentative d'explication qui menace son pur manichéisme buschien (on sait comme il est dangereux de comprendre : l'intelligence a toujours été l'ennemi de la foi), et en appeler à l'unité au-dessus des classes ; le 13, un Ron Halévi, directeur de recherche au CNRS ( sans blague ! ! !) se fait avocat de Sharon et en appelle ouvertement à la guerre contre tout le monde musulman, et surtout, bien entendu, contre les Palestiniens... Mais on remarquera que ce sont des seconds couteaux, et que le silence est assourdissant des philosophes valets de plume ordinaires. Ils sont assez malins pour avoir senti que la cause était casse-gueule.

D'autant que, quand on voit un Christian Delanghe, un général, directeur de recherche à un centre de recherche stratégique à Washington, expliquer que la « force écrasante » est inadaptée à son but (Le Monde, 12 octobre), on se dit que le camp du Bien commence aussi à avoir des doutes sur ses fins et ses moyens, et qu'on s'y se gratte le crâne en se demandant si c'était bien une bonne idée d'avoir truqué des élections pour mettre au pouvoir un minus qui se regarde tous les jours dans le petit écran en se trouvant l'air d'un vrai Churchill doublé d'Alexandre le Grand (celui qui avait traversé l'Afghanistan sans coup férir).

Quant au troisième front : celui de la lutte contre le fric des Ben Laden & Co, c'est celui de la « drôle de guerre » : il ne bouge pas. Les Saoudiens renâclent même sans façon devant les exigences  amerlocks de farfouiller sous les tchadors de leurs banques. C'est le front où les lutteurs sont tellement entremêlés l'un à l'autre qu'on ne peut tuer l'un sans tuer l'autre. Si les « Fous de Dieu » pouvaient être un peu moins fous, on pourrait si bien s'entendre avec eux, entre gens de bons comptes communs !

Paris le 15 octobre 2001