Bienfaisant  électrochoc !

          Le trop inattendu coup du 21 avril n'a pas été un "séisme", mais un électrochoc. On sait cette thérapie des plus dangereuses. Mais, dans le cas présent, l'effet bienfaisant  s'est fait sentir immédiatement. D'un seul coup, une génération s'est brutalement réveillée, qui semblait jusqu'alors se désintéresser de la politique. (Et à considérer celle qui était faite loin d'eux et par dessus leur tête par tous ces vieux partis inaccessibles et en état de décomposition avancée, on pouvait comprendre leur abstention.) Mais là, comme il en va toujours avec la jeunesse, c'est en descendant dans la rue qu'elle s'est mise à crier que ça n'allait pas se passer comme ça. 

C'est que, cette jeune génération, elle n'est pas raciste. Nicolas et Nathalie étant allés à l'école avec Ali et Aminata, ils ont appris ensemble, entre autres choses, ce qu'était le fascisme. Et elle est très pratique en plus, cette génération, et ne s'encombre pas trop de préjugés. C'est pourquoi elle a très bien compris que, comme au jeu des mille francs, puisqu'il fallait choisir entre " le voleur " et " le tortionnaire ", il fallait voter pour le premier pour éliminer le second. Ce qu'elle a dit spontanément en mots d'ordre dont l'humour et la poésie avaient comme un parfum de "68-le retour ! " Et elle a crié cela pendant quinze jours, avec une pointe d'un million et demi de manifestants dans la rue le 1er mai (en comptant, bien sûr, beaucoup d'anciens revigorés, et même de très anciens qui avaient connus en leur temps les copains de Le Pen à l'oeuvre, comme l'auteur de ces lignes).

Notons tout de suite, avant de passer au principal, que cette intelligence politique spontanée de la jeunesse, LO ne l'a pas eue. Dans leur pureté de saints moines et nonnes ouvriéristes, Arlette et C° faisaient judicieusement remarquer qu'avec les seules voix de droite, Chirac pouvait l'emporter au second tour avec 51% devant Le Pen ! Sans s'apercevoir, ces gros malins, que cela aurait fait un Le Pen à 49%, les abstentions et nuls n'étant comptés, ni dans les résultats et leur sanction, ni non plus dans des millions de têtes et de consciences.  Et que même si ce n'avait pas été 51/49, mais 53/47, c'était du pareil au même, et que de toute façon Chirac aurait, certes, été bien élu, comme il en a été dans les élections présidentielles précédentes, mais qu'en revanche, ayant eu 19,71% au premier tour, être élu au second avec 82,50% (battant ainsi tous les records, y compris ceux de De Gaulle), cela représente, non seulement pour la France (y compris pour sa droite), mais pour le monde entier... une victoire dépourvue de toute signification, puisque purement négative. Et comme les votes nuls ou blancs du second tour représentent une moyenne de 6%, et qu'ils sont bien évidemment des "votes" contre Le Pen, s'ils s'étaient portés sur Chirac, ils auraient montré que Le Pen ne récoltait pas 17,50% des voix, mais seulement environ 14 à 15%. Et le pourcentage supérieur de Chirac aurait encore augmenté son peu de valeur pour lui-même !  (Certes, cela n'empêche pas la gravité du chiffre  absolu des votes Le Pen, mais seulement leur effet psychologique. Et nous y reviendrons.) 

Comme expliqué dans la précédente édition de ce Journal, c'est la Constitution bonapartiste de 1958 qui nous a imposé un tel jeu électoral, pour une partie qui se joue en quatre rounds. Et si la gauche respectueuse a perdu la première partie, c'est nous le peuple en grande majorité "à gauche" qui l'avons gagné, et en sommes satisfaits.

Avant d'examiner les conditions du troisième round (ce que nous ferons la semaine prochaine), il faut analyser les raisons des résultats des deux premiers, c'est-à-dire du contenu des votes, ce dont l'intelligence n'est pas sans importance du point de vue des deux autres rounds.

Pour le premier que nous avons déjà abordé la semaine dernière, l'accord est large, y compris dans la gauche plurielle, pour reconnaître que c'est parce que la gauche à fait une politique de droite qu'elle s'est cassé la gueule. Bien entendu, les dirigeants du PS ne sont pas aussi nets que ceux des Verts et du PCF. Ainsi, Martine Aubry dit qu'il ne s'agit pas de "faire une politique plus à gauche, mais mieux à gauche". Délicieuse équivoque ! On jugera aux propositions. Mais il faut noter qu'il y a de bonnes âmes pour tirer une autre conclusion, diamétralement opposée, de la défaite de gauche néo-libérale : elle ne l'a pas été assez ! Ainsi M. Mario Vargas  Llosa, caméléon péruvien, auquel Le Monde a généreusement accordé une entière page pour expliquer que c'est "par ses attaques systématiques contre le libéralisme (sic), bouc émissaire de tous les maux sociaux, et par son rejet sectaire de la mondialisation, que la gauche a contribué  à fabriquer le Golem nationaliste et antidémocratique nommé Le Pen." C'est curieux comme, de l'autre côté du monde, on peut voir le monde à l'envers ! M. Vargas Llosa incite la gauche française et ses homologues, à "se moderniser une fois pour toutes". Il ne lui donne pas de modèles, et ainsi, l'on ne sait pas si Blair est assez moderne, c'est-à-dire à droite. Mais si M. Vargas Llosa séduisait MM. Fabius et Strauss-Kahn, et si le PS s'avisait d'être plus libéral qu'il n'a été, et plus mondialisateur, donc plus soumis au Etats-Unis, son FMI et son OMC, qu'est-ce qui le distinguerait de la droite chiraquienne  ?  Déjà que beaucoup d'électeurs ne voyaient plus très bien la différence ! Et si c'est l'anti-libéralisme  qui a jeté les électeurs dans les bras de Le Pen, il est clair que plus de libéralisme de la gauche devrait en jeter encore plus ! M. Vargas Llosa raisonne donc comme un tambour. Et on comprend qu'avec ce langage, qui semble dicté par  M.Bush, les Péruviens l'aient renvoyé à la cogitation de ses romans (dont je comprends maintenant la raison du caractère équivoque). Le vote du 5 mai lui aura-t-il fait comprendre quelque chose ? Ce ne sont pas des raisonnements qui font comprendre quoi que ce soit à des valets de plume. 

Mais ce qui est grave, c'est qu'il n'est pas seul à tirer des conclusions bizarres du vote Le Pen. Plusieurs enquêtes ont montré qu'il était composite. D'abord l'extrême-droite traditionnelle française : bourgeoisie catholique intégriste, nationaliste chauvine, à tendance fasciste (de nombreux grand et petits patrons ont voté Le Pen. Et même tant que Seillière  s'est refusé à appeler au vote Chirac); puis les nostalgiques de l'Algérie française,  les propriétaires de villas de la Côte d'Azur et leurs valets de chambre, leurs fournisseurs, etc. A ceux-là se sont ajouté les plombés de la campagne sécuritaire, où PS et Chiraquie ont rivalisé pendant plus de la moitié de la campagne électorale. Le Pen a été le juge de "l'Huître et les Plaideurs" de La Fontaine : c'est lui qui a gobé l'huître sécuritaire que les deux autres se disputaient. Les petits vieux terrorisés ont voté pour celui qui désigne clairement les voleurs et assassins, soit tous ceux qui ont la peau sombre, parlent mal le français, ont trop d'enfants et touchent des allocations familiales, sont mal habillés, etc, et veulent plus de gendarmes, de vigiles, et plus simplement tout ce monde renvoyé d'où il vient. Mais il y a, enfin, les nouveaux électeurs : ces chômeurs de longue durée des usines délocalisées vers où l'on paie les ouvriers avec des clopinettes, ceux des régions qui hier votaient PC ; ces travailleurs pour qui les 35 h. signifient la baisse du salaire et la flexibilité à la merci des patrons, ces mal-logés qui paient des loyers pharamineux, etc. Ceux-là, un plumitif du Monde, Daniel Cohen a trouvé qui c'était : rien d'autre que le prolétariat, ce condamné à mort du monde moderne, et auquel il adresse un "Adieu", en notant qu'il se trouve tout juste à 3,2% des votes d'Arlette et de Besancenot.

Ignorant comme le journaliste qu'il est, il ne sait pas que, pour le marxisme, le prolétariat ne se définit pas par le travail en usine, mais est constitué de tous les travailleurs dépossédés de leurs instruments de travail, et n'ayant que la vente de leur force de travail comme unique source de revenu (que ce travail soit manuel ou intellectuel, et maintenant, le plus souvent, manuel-intellectuel à la fois). Il ne sait pas que, de ce fait, les infirmières comme les postiers, les caissières de supermarchés comme les camionneurs, les informaticiens comme les employés de banque, et tous les techniciens (voire ingénieurs) qui participent simplement à la production ou à la distribution (et même si une partie de leur salaire leur est donnée fictivement comme "actions") sont des prolétaires.  Il arrive , il est vrai qu'ils l'ignorent comme M. Cohen. C'est le rôle de la sociologie bourgeoise de leur dissimuler leur condition. Mais les réalités de la lutte de classes se charge de la leur rappeler au fur et à mesure que le libéralisme pousse ses avantages dans le cadre de la mondialisation capitaliste.

Il n'est pas sans intérêt de souligner que ceux qui sont à la base de la classe prolétarienne, et qui restent sa partie sans culture, hier formaient la masse des militants et de l'électorat du vieux Parti communiste. C'est dans un même mouvement, et dans une inter-détermination, que cette couche du prolétariat diminue et que le Parti communiste se décompose. Mais cette décomposition étant celle de la perversion stalinienne du communisme, qui substituait le nationalisme et une certaine xénophobie à l'internationalisme, la paupérisation de cette couche du prolétariat a favorisé sa vulnérabilité à la démagogie fasciste (comme cela s'était déjà produit en Allemagne, mais dans des conditions économiques et politiques différentes, au profit du nazisme). Nous avons là ce que l'on peut appeler le niveau zéro de la conscience révoltée du prolétariat, ou plus exactement son inconscience de classe, et la révolte passive qui s'en remet à celui qui va leur faire la peau à tous.
C'est là dire que, dans les conditions actuelles de reconstitution de la conscience prolétarienne, cette couche ne doit pas être considérée comme perdue au profit du fascisme.  La solidarité de classe, et la propagande du communisme rénové en son sein doit permettre de la tirer de l'ornière, et de la ramener à la conscience et à la lutte de classes.

Sur cette route, l'ouvriérisme sectaire de LO, n'est qu'un niveau 1. Un considérable effort en direction de ces sacrifiés de la réaction libérale est nécessaire, indispensable pour les amener au niveau supérieur du marxisme révolutionnaire et au combat unifié de la classe contre le capitalisme international.

Mais le racisme, qu'en fait-on ? Là, c'est M. Bush en personne, le  Président du pays le plus raciste du monde, qui nous fait la leçon : "Vous êtes trop antisémites, et voilà pourquoi votre France déraille !" Et la communauté new-yorkaise de juifs intégristes barbus en uniforme noir manifeste en exigeant des sanctions contre la France antisémite ! 

 Oui, mais, ils ne sont aussi malins que nos gens du Crif, et ils ont brandi des drapeaux israéliens en appelant à l'aide du pauvre Sharon contre les méchants Palestiniens ! Ils dévoilent ainsi le pot-aux-roses : pour n'être pas antisémite, il faut adorer Sharon et sa lutte contre les " terroristes ". Ils ne savent pas, ces innocents, qu'en France, le meilleur ami de Sharon c'est le sieur Le Pen qui, non seulement ne déteste pas les juifs s'ils sont en Israël et pas en France, mais même qu'il les adore s'ils tuent des sémites musulmans, voire des musulmans non-sémites, qui sont maintenant ses ennemis de prédilection. C'est ce racisme là qui aujourd'hui domine en France et se manifeste dans l'assise de Le Pen. Quant à la judéophobie, c'est un mythe entretenu par les sharognards pour faire pression sur le gouvernement français, accusé d'être trop neutre, et de ne pas chanter en choeur avec Bush, sur l'air " Arafat doit cesser les attentats ". La France du 1er Mai a montré qu'elle n'était pas raciste, mais massivement " Black Blanc Beur ". Quant aux murs abîmés de quelques synagogues, qui ne sait que ce sont des actes très isolés, provoqués par le martyre de la Palestine, et que tout cela s'arrêterait si le massacre cessait, et même si seulement toute la communauté juive de France suivait l'exemple de sa minorité, et de celle d'Israël, qui dénoncent Sharon et sa politique de crime contre l'humanité.

 La campagne électorale a un peu trop fait oublier la Palestine en France. On voit bien pourtant que la coupure, contre Sharon/Bush, passe non seulement entre la vraie gauche de masse et Le Pen, mais aussi avec Chirac, voire une partie, hélas ! du PS. Et que cela doit être un discriminant pour les prochains rounds électoraux.

Et justement...

Le dernier mot sur la Palestine
 
         Il est vraiment fort le Sharon ! Ou, plus exactement, elle est vraiment d'un minable profond la Communauté internationale, celle d'Europe y compris. Il a suffit qu'il dise, le Sharon : " Non ! vous n'enverrez pas à Jénine  des gens capables de vérifier que c'est un massacre que nous avons fait ! ", et ils se sont inclinés gentiment, nos grands dirigeants du monde : " Puisque vous ne voulez pas. Et bien on n'ira pas. C'est dommage, on était prêts à faire un effort pour dire qu'il fallait faire la part des choses. " Et le Sharon remet ça ! Un attentat kamikaze inévitable, et je repars à l'assaut ! Il ira jusqu'au bout.

         Un petit quelque chose : les  désignés " terroristes " réfugiés à Bethléem, dans l'église de la Nativité, ont échappé à la griffe du Sharon (cela l'aurait foutu mal qu'ils meurent dans l'église !), et sont expulsés à Chypre, en attendant leur dispersion. Une suggestion : exigeons que la France les accueille !

12 mai 2002

(Chers lecteurs, si vous êtes d'accord avec moi, faites connaître ce journal. Et écrivez moi.)