Le grand tournant

                 Les élections françaises des mai et juin ont conduit à bien autre chose qu'à un retour à la fameuse "alternance", chérie  de nos savants politologues : il s'agit d'un grand tournant dans la vie politique du pays. La méfiance de la droite, malgré son triomphal succès électoral, est caractéristique des risques auxquels elle pressent qu'elle va être affrontée.

                Son succès n'est en effet que le résultat de la mécanique de la constitution gaullo-bonapartiste, doublé de l'américanisation de la vie politique française, et en particulier des campagnes électorales. Jamais on n'avait vu les "grands partis" s'opposer ainsi sans programmes, par surenchère des mêmes thèmes (insécurité en n°1), valeur personnelle des hommes (ô les jeunes chiraquien surgis du néant, "près de leurs concitoyens",  pour faire quoi ? "du nouveau" !). Et cela, précisément, au moment où naît une nouvelle génération privée d'avenir (qu'elle soit avec ou sans diplômes), rejoignant  la masse phénoménale des exclus de toutes catégories : chômeurs, précaires, sous-payés dupés des 35 h. retournées en leur contraire de surtravail, retraités appauvris chaque année par réduction en taux de leurs pensions, petits paysans écrasés par l'agro-industrie multinationale... On en passe.

 
Premier tour : 21 avril

                Cela a donné un premier tour de présidentielles, avec le score justement dû à chacun  : Chirac avec ses 17% ; le PS payé de son libéralisme avec 16,18% à Jospin ; le PC renvoyé à ce qu'il est, c'est-à-dire un parti agonisant à moins de 4% ; les Verts subissant le contrecoup de leur alliance capitularde avec le PS, avec 5, 25% ; Chevènement bousillé par son grand arc droite-gauche, avec 5,33% et, soudain, une extrême gauche à 10%. Mais hélas ! aussi le fascisme en deuxième position avec 16, 86% !

                Incompréhensible  pour nos grands politiciens qui ne comprennent jamais rien à la politique. Il étaient globalement rejetés par toute la masse des humiliés et opprimés!

Incapable d'autocritique, le PS cherchait des boucs émissaires, certains allant, avec cynisme, jusqu'à accuser l'extrême gauche d'être responsable de sa défaite, alors que celle-ci  n'avait cessé de la prévenir  que, sans grand coup de barre à gauche, il ne faudrait plus compter sur elle comme  roue de secours. Bien loin de là, une assurance arrogante ne lui avait même pas permis d'accorder à ses alliés de la gauche plurielle les mesures qui les auraient soudés ensemble.

 Et, comme c'est toujours le cas dans les situations de confusion, les plus désespérés, au plus bas niveau de conscience, ont voté pour le démagogue à la grande gueule (qui, d'ailleurs, lui, ne se privait pas d'oser dénoncer Chirac comme le voleur du peuple qu'il est !). A l'autre pôle, les plus conscients se dispersaient entre extrême gauche et programmes de mots d'ordre partiels. Entre les deux, 38% d'abstentions !

                Qu'est-ce que signifiait un tel absentéisme ? Au secours les blablateurs de service : "Ce sont des pêcheurs à la ligne ! Des non-politisés ! Des indifférents ! Des passionnés de la Coupe du Monde !

                Mais non, bande d'imbéciles ! C'était et en particulier la jeune génération ceux qui ne croient plus en vos discours à la noix, à vos promesses non-tenues, à vos actes qui démentent vos paroles ; des masses en majorité cultivées et lucides au contraire, qui ne veulent plus de vos politiques et ne savent pas encore comment sortir de ce  grand jeu truqué !

                A l'exception de la LCR, qui voyait enfin s'ouvrir un horizon devant elle, ce premier tour jetait tous les partis, et particulièrement ceux de gauche, dans un état de crise qui n'est pas près de se résoudre. LO même, trouvait la double sanction de  son isolationnisme et de son sectarisme. 

La gauche du PS dénonçait à juste titre les "excès " de libéralisme, où le poids de ses technocrates avait pesé lourd. Elle soulignait qu'ils n'avaient pas su entendre les plus démunis. Mais la direction s'en tenait à répéter qu'ils avaient "mal expliqué" leur excellente politique, et promettait d'être à l'avenir "mieux à gauche". Ils préparaient ainsi minutieusement leur défaite des législatives.

Deuxième tour : 5 mai

                Le spectre du fascisme leva la vraie majorité du pays de l'extrême gauche à la gauche molle courant derrière elle,  en passant par cette immense masse qui avait refusé de voter , pour crier "Non à Le Pen ! Non au F-Haine !" Ce fut de magnifiques manifestations de conscience politique que celles qui submergèrent la France, du 22 avril au 1er mai !

                Et la preuve qu'il s'agissait d'une nouvelle conscience politique, c'est que, sans s'embarrasser de scrupules idéologiques, avec un réalisme très nouvel âge, cette masse fit barrage à Le Pen, le renvoya à sa marginalité. Mais, du coup, ce fut en créditant le Chirac des 17% de l'inversion mathématique d'un score jamais vu : 82%.

                S'en parant comme de plumes de paon (alors que ce n'étaient que plumes au cul de Folies bergères),  Chirac devenait un Président élu à l'américaine, tout comme Bush : minoritaire dans le pays, minoritaire en voix, et grâce à un système anti-démocratique. 
 
Troisième tour, premier des législatives : 8 juin

                Tout n'aurait-il pas  pu encore être sauvé ?

D'une part, ç'aurait été trop attendre d'un PS dominé par son aile social-libérale.  On vit un Fabius menacer ceux qui, dans ce parti, pointaient les dérives dont il avait été un des maîtres d'oeuvre, et qui indiquaient (timidement) les voies de redressement. Comme PCF et Verts, eux, ne pouvaient être muselés, il y eut peu de listes uniques de feu la Gauche plurielle, un surcroît d'arrogance social-démocrate, et une campagne misérable. La répétition du 21 avril était scellée, d'autant plus que Chirac, lui, avait saisi sa chance, et rallié son troupeau sur la base d'une démagogie débridée  : droit aux bavures, avec armes adéquates, pour les flics ; maisons de correction pour les jeunes délinquants ; droit de détruire les oiseaux migrateurs pour les beaufs à fusil ; retour de la morale (religieuse) à l'école de Ferry II, prévision d'une amnistie pour les vols de haute volée, etc.

Mais, d'autre part, une révolution électorale pouvait-elle être attendue de la génération du "Premier Mai" ? Cela aurait supposé, de la      part d'une masse, sans cohésion politique, un niveau de conscience qui ne pouvait se constituer en un mois. Le premier tour des législatives a donc été une répétition du 21 avril. Répétition en pire, même, le réflexe du vote utile et du moindre mal ayant conduit un pourcentage important des votants de l'extrême gauche des présidentielles et un petit pourcentage des abstentionnistes à voter Gauche plurielle. Ce qui ne servait à rien, alors que 56% des moins de 35 ans s'abstenaient, et qu'une partie des votants protestataires de F-Haine votait aussi utile, à sa façon, c'est-à-dire pour la droite.
 

Quatrième tour ; deuxième des législatives : 16 juin

                44% d'abstention et de votes blancs ou nuls ! Un record absolu en France. Un désastre pour la Gauche plurielle. Surtout pour le PC, dont le secrétaire est battu ("C'est la faute au FN, crie le pauvre Hue, comme si ce n'étaient pas les voix de gauche qui lui avaient manqué !). Il ne parvient à garder un groupe au Parlement que grâce au PS et à la discipline unitaire des électeurs. Mais les Verts n'ont pas cette chance, qui n'obtiennent que trois élus au lieu de sept.
 

Ce qu'ils nous préparent !

                Le programme chiraquien pour les cinq ans à venir, le vrai, celui qu'on ne proclame pas,  "les réformes impopulaires [qui] vont enfin pouvoir être lancées", a été donné par  un membre du RPR de la France profonde, un certain Marc Chiappero : alléger (sic) "la loi sur les 35 heures, qui a fait trop perdre en pouvoir d'achat aux petites gens"  [à savoir les mesures du Médef, si soucieux des petites gens, et que cesse la paresse. Quant au chômage. ?] ; baisser les impôts "pour inciter les gens à entreprendre"  et "supprimer l'impôt sur les grandes fortunes. Il rapporte peu à l'Etat, car toutes ces fortunes sont toutes parties en Suisse." [sans commentaire !] ; cesser "enfin de favoriser l'emploi public qui mange 50% du PIB français."  [Heureux les infirmières, les postiers sans compter les usagers qui n'ont plus qu'à faire la queue !] ; "contre l'indépendance totale des juges, il faudrait qu'ils puissent être sanctionnés par une instance supérieure afin que cessent les distorsions de jugement" [Qu'on jette en prison les Halphen : on ne doit plus importuner des grands personnages qui n'ont tapé dans la caisse qu'à des nobles fins.], et que, dans "nos casernes vides Les officiers  [reprennent] du service. Les jeunes délinquants y seraient enrôlés dans des brigades de travaux punitifs."  . Enfin, il faut compter sur Luc Ferry pour restaurer le respect dû au maître à l'école. "Il faut réintroduire des tabous à l'âge tendre. [ ] A l'école, il faut  lui taper sur les doigts [au] petit mammifère". (Le Monde, du 18 juin). Et tout le reste est littérature et médias télévisés !
                Premier geste, hautement symbolique, du nouveau pouvoir, et de la politique d'"impunité zéro"  : José Bové est en prison ! Bush peut être content de Chirac : le terrorisme anti-MacDo, anti-OGM et autres produits américains ne passera pas ! 

Quelle opposition ?

Il n'y a plus de Gauche plurielle.  Hollande fait des efforts désespérés pour calmer les vagues du PS, en attente d'un congrès, pour l'an prochain, où se referait l'unité d'un parti en état de distension. Mais d'emblée, Fabius, ne pouvant dégommer dans l'immédiat l'actuel secrétaire, cherche  le moyen de saisir la barre qui le mènera droit à la candidature présidentielle de 2007, en compagnie de son alter ego en libéralisme Strauss Kahn, vers un parti blairiste,  recours bourgeois sérieux comme aux USA le Parti démocrate face au Parti républicain.  La gauche du parti pourra-elle accepter un tel suicide ? Seul, pour l'instant, Montebourg avance une ligne  alternative. Elle est totalement en opposition avec celle de la droite libérale. Malgré sa demi-victoire dans la défaite, et son petit bloc électoral "incontournable", le PS contient en lui, comme le PC, les germes de sa mort. 

Et le PCF, justement, ses oppositions peuvent-elles le transformer ? D'autant moins qu'elles sont contradictoires, entre les nostalgiques du stalinisme, et des rénovateurs qui hésitent encore à rompre les derniers liens avec leur sinistre passé. Pourtant, cette fois, il est clair que l'issue n'est plus vers le PS. Verront-ils que la voie est vers  la construction  d'une nouvelle vraie gauche radicale ?

Les Verts se posent les mêmes questions. Eux n'ont pas ce fardeau passéiste, mais pas mal de préjugés à l'égard de la radicalité politique, qui pourtant est porteuse  de tout leur propre programme.

Bien que les politiciens et journaleux médiatiques, également myopes, aient cru pouvoir, au vu du deuxième tour des législatives, décréter que la flambée de l'extrême gauche  n'avait été qu'un feu de paille, maintenant bien douché, ils se gourrent majestueusement comme c'est dans leur usage. Car le cinquième tour va commencer sans tarder ! Les exclus des élections ont, eux, un programme (ou plus exactement des programmes compatibles), des revendications dont ils vont  proposer l'adoption par leurs moyens politiques : ceux de la lutte de classes. L'Espagne du travail vient de leur donner un modèle !
 

Et pendant ce temps, en Palestine

MM Sharon Bush et C° continuent gentiment, en une collaboration, bien mise au point, et que nous avons analysé dans nos précédents articles, à pratiquer la destruction des villes, et l'oppression sanglante du peuple, tout en implantant de nouvelles colonies, et en criant "A l'assassin !"

Montant au cran supérieur, Sharon dénonce la Palestine comme le grand bastion d'Al Kaïda, et se sacre champion  de l'Axe du Bien contre le Mal !

Notre télé ne va plus avoir de limites pour nous faire pleurer en comptant les morts israéliens, et en comprenant l'exigence  de "justes représailles" dont on ne saura jamais le compte des victimes : mais toujours dix pour un, c'est une bonne proportion pour faire comprendre aux bougnouls qu'ils doivent se soumettre aux civilisés.

Le lobby international sioniste se déchaîne. Aux Etats-Unis c'est toute la France qui est accusée d'antisémitisme parce qu'on y a trop de liberté de dénoncer le criminel de guerre Sharon, ses "fous de Dieu" intégristes et l'armée qui va avec. Aux US, ils sont si cyniquement bêtes qu'ils ne se cachent même pas pour mener leurs manifestations avec des drapeaux israéliens et des portraits de Sharon !

Mais ici même, le coup d'envoi est lancé :  Après Daniel Mermet, journaliste et producteur de Radio France, poursuivi pour avoir donné la parole à des auditeurs témoins  de ce qui se passe en Cisjordanie et à Gaza, c'est le tour de Sébastien Jolivet, candidat LCR en Savoie, poursuivi, sur citation du parquet pour "provocation à la discrimination d'une nationalité à caractère racial",  à savoir participation à une campagne d'affichage dénonçant la politique du gouvernement israélien à l'encontre des Palestiniens, et  en traçant des inscriptions "Sharon assassin, Intifada vaincra".  Voilà qui est joli ! Ce sont là des magistrats dont l'UMP ne va pas demander qu'on limite l'indépendance ! L'accusation est du plus haut intérêt : le criminel de guerre ignoble, couvert de sang, le raciste haineux, le violeur  de tous les accords signés depuis des décennies, Ariel Sharon, dont nous avons droit à la sale gueule de sadique tous les soirs sur nos écrans, est assimilé à une "nationalité" (dont les opposants à la guerre sont tenus pour nuls et non avenus),  et ladite nationalité il est vrai visant sous ce gouvernement à être ethniquement pure  à une "race", qui serait celle des Sémites, mais dont sont exclus  tous ceux qui, juifs ou d'origine juive,  rejettent le sionisme, de même  que les Palestiniens que massacre Sharon, et qui, jusqu'à preuve du contraire, sont aussi des Sémites ! 

Dans les deux cas,  la LICRA se porte partie civile ! Cette organisation qui, en principe, se doit d'être contre le "racisme et l'antisémitisme", se trouve défendre le raciste Sharon, et sa politique qui fait renaître l'antisémitisme, grâce, précisément à son assimilation voulue des Juifs et du sionisme ! Et on retrouve, avec cette organisation trahissant sa mission, les chiens de garde ordinaire de Sharon, l'Union des étudiants juifs de France, le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), plus le minable Finkielkraut, et le pauvre Alexandre Adler (toujours "pour" ce qui est "contre", et "contre" ce qui est "pour"). Il ne manque que le Bétar, qui lui se garde pour les commandos violents.

Espérons que ce sera l'occasion d'un grand déballage qui fera sauter l'assimilation criminelle : Juifs = sionistes !

Le but de la campagne sioniste tend  à faire taire toute opposition à la sale guerre coloniale israélienne contre les Palestiniens, afin que ce soit dans le silence qu'elle puisse être menée à son terme : la destruction de la Palestine !

Dans toute la France, nous devons donc crier  fort :

 A bas Sharon, criminel de guerre !

coupable de crimes contre l'humanité !

Vive l'Intifada !

Vive le peuple Palestinien en lutte pour sa vie !
 

21 juin 2002 - (la suite au prochain numéro)