LAICITÉ, DITES-VOUS ?
MAIS QUELLE LAICITÉ ?

(sur deux débats télévisés)

Tant de laïcs étonne. Tout à coup, au vent du voile islamique, on en voit fleurir de toutes les couleurs. De la droite chiraquienne à la gauche respectueuse, voire au-delà, cela semble bien le quasi consensus. Mais le consensus n'est-il pas maintenant la tarte à la crème de l'escroquerie? Et, en effet, dès que ça s'exprime, ça détonne.

C'en fut une belle manifestation que le débat mené sur France 2 par Guillaume Durand, le 4 décembre.

Le sujet était donné par le titre : "le Voile et la Loi". Et le thème en fut explicité d'emblée : doit-on ou non enfreindre pour le voile islamique le principe laïc du refus des signes religieux ostentatoires (à effet de prosélytisme) à l'école ? Et sinon faut-il une loi spéciale d'adaptation de la laïcité à son sujet ?

L'invité Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris et président du Conseil islamique, inventé par M. Sarkozy (en violation des principes de la séparation des Eglises et de l'Etat), eut beau tenter de détourner le sujet en avançant que le voile était une coiffure, donc un vêtement, non seulement cette astuce tomba dans le vide, mais lui-même, en fin de débat, admis implicitement son caractère de signe religieux en rappelant l'offre d'un "compromis" de remplacement du voile par un bandana, donc comme signe (religieux) non ostentatoire.

Ce caractère religieux ne faisant plus problème, la question de la nécessité ou non d'une loi retint finalement peu l'attention du plateau. Ce pouvait être en effet un terrain dangereux. Car s'il faut "toiletter" la laïcité, et pas pour la rendre plus perméable, mais plus stricte, ne faut-il pas en profiter pour supprimer les aumôneries existant encore dans certains lycées et rétablir la loi laïque commune en Alsace-Lorraine, voire cesser de subventionner les riches écoles religieuses, alors que l'enseignement laïque manque de moyens ? Mais ce n'était pas une revendication à demander à un catho comme M. Pascal Bruckner. Et la terrible évocation par un autre invité de la décapitation du roi divin Louis Capet en 1793, suivie de celle de la belle déchristianisation de l'école en 1905, comme sources de notre laïcité républicaine, n'entraîna pas de sa part une revendication telle que celle évoquée ci-dessus, pourtant beaucoup moins radicale…

Restait la question sociale de cette soudaine prolifération de voiles. Mais comment demander à MM. Darcos, sous-ministre chiraquien de l'Éducation nationale et Allègre, son prédécesseur "socialiste", crapaud dégraisseur de mamouths, d'avouer leur faillite de l'intégration de la jeunesse d'origine maghrébine et leur abandon des banlieues à la misère culturelle et aux bavures de la politique sécuritaire ? Et comment dénoncer le fric arabe qui passe par cette énorme brèche et inonde les banlieues, alors que ledit Sarkozy accepte que l'Arabie Saoudite finance la rénovation de la grande mosquée à Paris même ?

Pour tourner un tel abîme, il fallait un bouc émissaire. On avait tout prévu, il était invité : Tariq Ramadan. L'essentiel du débat fut son procès.

Le procès de Tariq Ramadan

Guillaume Durand, animateur de ce débat, et tous les invités formant l'accusation, et l'accusé étant sans avocat (même du diable) sans compter l'absence de jury, l'auteur de cet article se doit d'y suppléer à son corps défendant, mais avec toutes les qualités pour jouer ces deux rôles, n'ayant jamais vu l'accusé, ni aucun lien avec lui, comme le doit le jury tout entier, et sa neutralité étant fondée sur un athéisme qui partage la même hostilité et le même mépris équitablement entre toutes les religions, les considérant toutes comme réactionnaires et opium du peuple.

Avant que l'on touche les éléments de faits de l'accusation, j'eus d'abord l'étonnement de voir M. Pascal Brukner se plaindre de l'auto-médiatisation de M. Ramadan. Grand étonnement, puisque j'avais suivi comme lecteur de journaux, et depuis le début, la dénonciation acharnée dudit Ramadan — dont le grand public n'avait jamais entendu parler auparavant —, par les "nouveaux philosophes" , dont fait partie M. Brukner, et ceci dans la grande presse. C'était donc bien eux qui étaient responsable de sa médiatisation, et non pas lui-même.

Et il s'agissait, dès le début, de l'accusation actuelle d'antisémitisme et de judéophobie islamiste, pour un article que les journaux qui portaient l'accusation avaient refusé de publier, ce qui ne permettait guère de juger par soi-même, mais exigeait une confiance aveugle envers les maîtres à penser du postmodernisme. Mais ne voilà-t-il pas que Politis publiait intégralement ledit article, où de bonnes lunettes cérébrales ne permettaient pas de découvrir d'antisémitisme, à moins d'accepter l'amalgame chantage : anti-sionisme sharonien = antisémitisme, puisque ledit Ramadan y attaquaient des intellectuels juifs français (se trompant d'ailleurs quant à la judaïté de quelques-uns) en tant que souteneurs de la politique israélienne... et de la guerre bushienne contre l'Iraq, dénonçant là une réaction communautariste détestable. (Le dernier point suscita l'ire particulière de Bernard-Henri Lévy, qui protesta qu'il n'avait pas partagé l'ardeur va-t-en-guerre de son copain Glucksmann. Et c'était exact. Sur la question de cette guerre d'Irak, il s'était contenté de fermer un clapet qui bruisse pourtant d'habitude à tout propos. On ne saurait parfois être trop prudent.) Comme Politis est (malheureusement) moins lu que Le Monde et Libération, les accusateurs firent comme si de rien n'était, et ont continué (jusque dans le débat de ce 4 décembre) à faire comme si l'antisémitisme dudit article avait été démontrée. Ainsi, c'est bien grâce à eux que l'affaire Ramadan se poursuivit. Il s'agissait, comme nous l'avons montré dans notre article "Les naufrageurs de l'altermondialisme", d'empêcher ledit Ramadan de pouvoir parler au Forum social européen. L'affaire fit long feu, d'où la dénonciation féroce de la vraie gauche qui n'accepte pas que l'on règle les débats par la censure, et où l'on avait pu s'apercevoir que le front dressé contre lui était celui des pro-sionistes. La médiatisation de Ramadan par ses ennemis changea alors d'angle d'attaque : il avait deux langages, un pour parler à la gauche, un autre pour parler aux musulmans.

Dans ce procès de France 2, on allait retrouver tous les thèmes mêlés.

  1. T. Ramadan est contre la laïcité et veut que les filles puissent venir voilées à l'école.
  2. Il est antisémite. Guillaume Durand posa le péril antisémite européen comme une réalité indiscutable, et Ramadan comme un de ses fauteurs.
  3. Il a un double langage, et son enseignement vise à la conquête islamiste de toute la communauté d'origine maghébine pour, à terme, modifier les lois française, en particulier celles de la laïcité.

Je vis immédiatement que mon client avait de la ressource. Sur le premier point, il fut net et clair, et malgré tous les harcèlements, quant à son respect des lois de la République, existantes et à venir. Sur le second, on glissa vite, malgré les jappements de M. Brukner. Le terrain était glissant de plaider l'antisémitisme comme exportation de la guerre du Proche-Orient. Et quant aux fondements judéo-chrétiens de la culture française, M. Ramadan contre-attaqua brillamment en évoquant l'apport arabe à la philosophie médiévale scolastique, plus le large socle gréco-latin, donc "païen", oublié dans le préambule de la Constitution européenne.

Bref ! Sur tous ces points, et bien que sans cesse interrompu, il n'avait pas besoin de moi. Restait la question du double langage où l'accusatrice était Mlle Caroline Fourest. Mais là, comme dans les débats de presse qui précédaient, la faiblesse des accusateurs est de vouloir trop prouver. Reprocher à Tariq Ramadan les propos de son grand-père comme étant de lui sous prétexte que "si ce n'est toi c'est donc ton grand-père" enlève du poids à ce qu'il y a de vrai dans l'accusation.

Et qu' y a-t-il de vrai où l'avocat n'a plus qu'à plaider les circonstances atténuantes ? Précisément ce qu'on trouve d'incontestable au fond du creuset, une fois la décantation faite.

Oui, Tarik Ramadan est un musulman, sans doute pas absolument intégriste, mais pour qui, néanmoins, le Coran s'impose, sinon à la lettre, du moins en son fond. Et, de ce fait, il veut voir sa religion être revécue dans son intégrité par toute la communauté d'origine maghrébine, que sa masse vit aussi passivement et superficiellement que l'immense majorité des chrétiens vivent la leur, et ainsi créer un rapport de force qui pèse sur sa morale, ses mœurs, et au-delà sur toute la société, y compris sur l'école.

En son for intérieur, l'avocat ne peut que s'inquiéter gravement d'une telle orientation (abondamment financée) qui tend à enclore les communautés par l'oppositions des religions, et est une terrible menace contre l'intégration, indispensable à une claire conscience sociale, capable de s'élever au-dessus des particularités religieuses et culturelles. Et si le débat s'était focalisé sur ce point, ledit avocat aurait quitté sa robe pour, en costume non ostentatoire de simple militant, parler de politique sociale et internationale comme… dans les assemblées intermondialistes.

Mais pourquoi donc, alors, la polémique ne fut-elle pas limité à ce point, en toute sa profondeur ? Encore une fois à cause de ce que l'avocat n'aurait pas eu de mal à opposer à la meute des accusateurs : ce qui est reproché, et à juste titre, à Tarik Ramadan, ainsi qu'à toutes les forces islamiques qui sont derrière lui, c'est… exactement la même chose que font en même temps les autres religions du Livre.

L'offensive de Ramadan contre des intellectuels juifs, et autres intellectuels de droite déguisés en fausse gauche, a visé leur tentative réactionnaire, menée en un véritable terrorisme intellectuel, de rassembler toute la communauté juive derrière le sionisme sharonien intégriste, dont la base théorique est religieuse. Et si ceux qui étaient dénoncés ne sont pas des intégristes juifs, ils sont fondamentalement alliés aux pires intégristes génocideurs, au même titre que M. Ramadan avec les féodaux intégristes Saoudiens.

En même temps, si toute les Églises chrétiennes s'opposent à une loi sur la laïcité et se prononcent pour l'acceptation du voile à l'école, c'est qu'elles se sont engagées dans un véritable combat pour la re-christianisation de la France (actuellement majoritairement incroyante), et que le voile peut servir au retour des croix dans les écoles. Si leurs porte-parole comme M. Brukner ne sont pas des intégristes, ils ne se délimitent pas non plus de l'intégrisme du pape. Et mènent leur lutte au cri de : Ce sont les laïcs qui veulent "relancer" la guerre religieuse. Tartufe n'est pas mort.

Voilà ma plaidoirie, qui se conclut par la demande de renvoi au vrai débat : Faire rentrer toutes les religions dans la stricte sphère du privé. Telle est la véritable laïcité.

Et la loi ! Quelle loi ?

On a remis ça, dimanche soir 7 décembre, sur le 3, chez Christine Ockrent. Et là ce fut un vrai débat, grâce à deux jeunes femmes musulmanes, Fadala Amara, une des dirigeantes de "Ni putes ni soumises", et l'iranienne Chahdortt Djavann, et au professeur Jean-Claude Santana du lycée Lamartinière, faisant face à… quasi tous les autres : le normand converti à l'Islam Dr Abdallah Thomas Milcent ; l'évêque Michel Dubost ; et toute la brochette du consensus, de François Baroin, qui attend que Chirac tranche (celui-ci attend de savoir de quel côté penchera la balance électorale pour prendre une position "de principe"), Jean Boberot, historien qui, vu la France du XIXe/début XXe, pense qu'il faut prendre son temps, et, entre les deux, une Voynet qui se pose des questions et ne sais comment y répondre.

Parmi ces questions : En excluant de l'enseignement les filles voilées, ne pénalisent-on pas les femmes, tandis que ne le sont pas les garçons complices de l'obligation du voile, mais qui, eux, viennent s'instruire sans signe religieux ? En effet, et c'est même un des objectifs de l'opération "voile" : les filles n'ont pas à s'instruire. Mais Dominique Voynet, malgré la présence d'une représentante de "Ni putes ni soumises", oublie que la libération des femmes ne peut être d'abord que l'œuvre des femmes elles-mêmes. Si l'on accepte le voile, on sabote la lutte de celles qui se libèrent.

Les seules interventions vraiment intéressantes furent de ce fait, précisément, celles des deux jeunes femmes et de M. Santana, ce qui n'est pas étonnant, puisqu'il s'agit de trois cas de personnes directement impliqués dans le problème. Santana, sans emphase, précis, net, calme, montra le caractère évident du voile comme opération provocatrice de prosélytisme islamiste, les cas passant d'exceptions à des dizaines, puis des centaines, pour arriver à 1500, et demandant que la loi ne parle pas de "signes ostentatoires" ( ce dont Serge July avait rappelé que c'était déjà dans l'arrêt de 1994 du Conseil d'État), mais de tout "signe religieux visible".

L'argumentation des deux jeunes femmes refusait de voir un signe religieux dans le voile, et se concentrait sur ce qu'il symbolisait l'infériorisation des femmes, leur soumission, leur enfermement dans un ghetto, hors de toute possibilité d'intégration. Si elles avaient raison de dire que le prétexte religieux cachait essentiellement cette volonté de refus de l'égalité entre les sexes, cette dissociation leur cachait d'une part que c'était seulement le caractère religieux qui permettait à la loi de l'interdire, et surtout, d'autre part, que le Coran martèle du début à la fin les affirmations de cette infériorité et de la naturelle soumission que les femmes doivent aux hommes. De ce fait, rappeler les musulmans à la loi de la lettre coranique justifie de manifester cette soumission et cette infériorité par le voile.

Cela n'empêche donc pas qu'elles avaient raison sur le fond, et que leur belle révolte contre cette loi des mâles était plus forte que toutes les arguties, aussi bien de l'évêque, pleurnichant que l'"on ne connaît pas assez les religions" (Mais si ! mais si ! toute leur histoire de guerres pour imposer chacune leur domination universelle, leurs persécutions, leurs massacres, leurs chasses aux sorcières et aux athées, avec leurs bûchers, leur obscurantisme, sans oublier, à notre bout, le refus fait aux femmes de disposer de leur propre corps, et au refus de la lutte contre le sida par Jean-Paul II…). En appelant au "Vivre ensemble", mais dans une "différence" affirmée, l'évêque oubliait qu'à chaque fois que les religions ont été face à face, cela a toujours été pour s'entre-massacrer ! Sur le même thème, l'Abdallah normand, en bon converti, tartufe islamique, finissait par dénoncer "l'extrémisme de la laïcité". En déclenchant leur guerre inter-religieuse, les religions du Livre ne se mettent d'accord que pour la lutte contre la laïcité.

Intéressant débat, conclu comme il se doit par une lapalissade : l'intégration est en retard. Vous l'avez dit bouffis !

Un aspect d'un débat annexe

Arte se devait d'un apport particulier au débat. Ce fut, le 9 du mois, "Où sont passées les féministes", dont la première partie "Banlieues" se sous-titrait "Quand les filles mettent les voiles". Cette dernière fine plaisanterie permettait de faire réapparaître le dernier argument fort destiné à justifier les porteuses de voiles : la violence machiste, en paroles obscènes et en actes, des garçons de la nouvelle jeunesse des banlieues, explique que des filles en viennent à se vêtir de façon à dissimuler leurs formes et à se voiler pour se faire respecter.

Ah ! oui. Ce serait là une solution beaucoup plus efficace que de se joindre au mouvement "Ni putes, ni soumises". Grâce à ce signe de conversion, on améliorerait les mœurs : plus de violences sexuelles !
Malheureusement, la page du Monde du 7/8 décembre, consacrée à "L'hôpital confronté à la radicalisation des pratiques religieuses" démontre… le contraire. En particulier avec l'histoire de cette jeune femme qui, orpheline, s'était mariée et convertie à l'islam. Avant, elle "s'habillait comme toutes les filles, à la mode." Le mari lui imposa la burqua pour sortir, trois voiles, des gants, des chaussures fermées. Elle n'avait plus le droit de sortir seule, ne travaille pas. Pas question qu'un homme la soigne. "Mais s'il y a urgence ? — T'as qu'à crever." Enfin, malgré son obéissance, une infirmière la découvre lardée de cicatrices, aux bras, aux doigts, aux épaules, à la poitrine : "Il m'a tranchée de partout…"

Je dédie ce bel exemple aux sœurs Lévy. Certes, elles me diront que le Coran recommande que l'on traite bien ses épouses et concubines. Mais les maris n'ont-ils pas le droit aussi de punir ces mineures dont on connaît la perversité naturelle ?

10 décembre 2003