La pointe de l'iceberg...
... et ce qu'il y a dessous

Certes, bien des gens normaux, et même des militants, en ont marre de la "Question du Voile". Le rédacteur en chef de ce Journal lui-même se demandait s'il était bien nécessaire de redire, sous une forme variée, ce qu'il avait déjà dit. D'autant que l'entrée en scène des tous les ayatollahs du monde, menaçant la France des pires sanctions si elle ne corrigeait pas la laïcité par le Coran, semblait rendre les choses parfaitement claires. Mais il est étonnant qu'en dépit de cette mobilisation de l'obscurantisme mondial, la confusion puisse continuer à régner victorieusement dans des têtes que l'on croyait bien faites, y compris de celles de féministes !

Nous ne parlons pas de celle de Christine Delphy, pour qui les femmes sont un "genre" (c'est-à-dire n'appartiennent pas à l'espèce humaine, purement mâle, mais à un autre ordre biologique, purement féminin, et ennemi du premier), ni de celle de la pornographe distinguée, Alina Reyes (que l'on ne savait pas si effarouchée par les mâles!), mais, par exemple, de celle de Catherine Samary, de la LCR.
Car enfin, les féministes les plus intéressées (et les plus intéressantes) elles se sont exprimées avec la plus grande clarté. Ne suffit-il pas de lire le beau, limpide et clair Ni putes ni soumises de Fadel Amara pour que le problème soit réglé ?
Il doit donc y avoir là dessous quelque chose de caché, de très important, qu'il faut débusquer.
La loi, avec toute l'ambiguïté que l'on était en droit d'attendre du chiraquisme (Qu'est-ce qu'un "grande croix"? combien de centimètres?), et avec son amendement socialiste qui rejette les enseignants devant les problèmes qu'ils n'arrivaient précisément pas à résoudre, laisse tout en l'état. Et la gauche, y compris la critique et l'extrême, dans un chaos qui serait ridicule s'il n'était pas mortifère.
En fait, c'est sa faillite dans l'intégration des populations d'origine immigrée qui fait de celles-ci une proie fragile offerte à l'offensive islamiste. Là, en particulier, Fadel Amara est parfaitement convaincante. Et, soudain, dépassés et effarés par le phénomène, voilà nos militantes et militants courant après les mâles de cette population, qu'ils ont peur de perdre en s'opposant au plus sensible de leurs mœurs : leur libido malade.
Là est le nœud de serpents du problème. Car la division du monde par la politique et l'idéologie bushiennes, tend à unifier tout le monde musulman, de l'État pétrolier féodal d'Arabie saoudite aux populations misérables soumises aux oppressions et exactions impérialistes et colonialistes (au premier chef celles de Palestine). Et comme toute la vraie gauche défend ces populations contre les Etats-Unis et Israël, elle se trouve engluée dans la confusion réactionnaire de leur juste cause et de leur religion, sur laquelle ce sont les pires intégristes qui tendent à en être l'expression et la représentation.
C'est dans ce piège que me semble tomber, par exemple, ces jeunes militants mal formés, ou pas formés du tout, de la JCR. Ils semblent ignorer que le mérite (et la gloire) des trotskystes a été de savoir toujours se battre sur deux fronts à la fois.
Le Journal intempestif est heureux d'illustrer son propos en publiant l'article ci-dessous d'une vraie trotskyste, bien que de fraîche date, qui a le mérite d'être aussi une vraie féministe et une militante de terrain, de base, de celles qui n'ont pas souvent la parole, alors que, précisément, elle de celles qui savent de quoi elles parlent (la "rédaction" s'excusant auprès d'elle d'avoir été obligée de faire quelques coupures dans son article).

HALTE A L’AVEUGLEMENT !

Tout d’abord la question, la sacro-sainte question du voile. La quantité d’hectolitres d’encre qu’elle a fait couler aurait pu servir à éditer plusieurs numéros de Rouge. D’entrée je pense qu’une loi ne changera rien au problème.
Je tiens à dire que je suis surprise de voir la Ligue se mobiliser à ce point contre cette loi visant le voile . […]
Pour ma part, j’en ai assez de ce débat tronqué. Je suis fondamentalement opposée au voile, et j’en ai marre de voir lesdits marxistes perdre leur temps à défendre des nanas qui savent très bien ce qu’elles font en portant le voile et ne représentent qu’une minorité, alors qu’un mouvement d’émancipation traverse et fait bouger les quartiers, milieux immigrés ou pas. Des milliers de filles se battent pour ne pas porter le voile, et nous nous arrêtons à quelques fascistes qui, elles, ont une réelle conscience politique, que nous devons absolument combattre. Je ne fais pas d’elles des victimes, car elles n’en sont pas ! Faut pas se tromper de combat, et nous nous fourvoyons dans ce débat. Par je ne sais quel laxisme nous avons laissé passer le mouvement « Ni putes ni soumises », alors que nous aurions dû en être les fers de lance.
Faire de ces femmes-Belphégor des victimes, c’est reprendre à notre compte l’idée qu’aucune femme ne peut penser par elle même. Je reprends ici les mots que j’ai dits lors de la rencontre avec Alain Gresch : « Pourquoi ne pas monter un comité de défense de Marine Le Pen ? Elle aussi est certainement victime de l’éducation fasciste de son père. »
Non, nous devons savoir où se situe notre combat. Ces femmes sont des militantes, conscientes de ce qu’elles font, et c’est à ce titre que je les combats, ainsi que les hommes prêchant les mêmes idées. Elles veulent la liberté de l’aliénation, le retour de l’inquisition ? Je la leur refuse, au nom de toutes celles qui risquent leur vie en se battant pour le contraire. De la même façon que je refuse à un Le Pen de déverser son venin à longueur d’antenne, je vomis ces médias qui offrent aux mouvements islamistes une tribune . Au nom de la liberté, on en est arrivé à tolérer l’intolérable.
Le port du voile n’est que l’arbre qui cache la forêt. Depuis plusieurs années déjà nous sommes quelques-uns à clamer que le problème est éminemment politique, que le terrain des banlieues est de plus en plus occupé par les islamistes, que la solution est dans la prise de conscience de l’appartenance de classe et non dans l’appartenance à une communauté ou une religion. Mais nous sommes allés à l’opposé : dans le sens de la défense des communautés, au détriment d’une approche politique et économique.
De plus, l’amalgame entre culture et religion évite d’aborder franchement la politique. Nous avons en France des valeurs déjà anciennes, révolutionnaires et profondément anti-cléricales, qui ont déterminé le combat pour la laïcité. Ceux qui se sont battus ont suffisamment souffert du poids de l’Eglise pour accepter aujourd’hui des non-êtres voilées . D’autre part le flou qui entoure cette question sert trop bien les intérêts de l’Eglise catholique, de même que les intérêts du patronat : tant qu’on parle voile on ne parle pas politique.
On jette de l’huile sur le feu de la division de la classe ouvrière et rien n’est remis en question au niveau des licenciements, ni du contrôle des moyens de production. Je me fous que certaines d’entre elles soient exclues des lycées, qu’elles restent illettrées si elles le veulent. Je ne me mobiliserai certainement pas pour un retour de l’inquisition. Qu’elles l’assument seules, leur inquisition ! Mais qu’on arrête de leur donner une importance démesurée par rapport à ce qu’elles représentaient il y a peu de temps encore. Je préfère agir pour celles qui veulent l’enlever, cette saleté de voile ! […]
Je pense aussi qu’on fait des comparaisons idiotes et non avenues entre celles qui, ici, revendiquent le voile comme une liberté, et que leurs défenseurs appellent des victimes, et les vraies victimes que sont les femmes afghanes, iraniennes ou algériennes. Rien dans ces contextes n’est comparable, et je me refuse à ce confusionnisme entre la société afghane, par exemple, et la société française. Les femmes algériennes, dans les années 90, alors que les GIA les tiraient comme des lapins, nous ont donné un exemple unique de lutte et de courage. Ces femmes là se sont battues pour leur liberté, et pas une d’entre elles n’a jamais revendiqué le hidjab comme une libération de la femme ! Tolérer cette aliénation du corps, de l’être, ne peut que desservir le combat que mènent justement les Afghanes, les Iraniennes, et les autres, qui veulent se débarrasser de ce carcan. Pendant que les femmes de Bagdad se mobilisent contre le retour de la charia, les militant(e)s français(e)s seront-ils les seuls à en tolérer les prémisses comme une liberté ?
Manquerions-nous aussi de faculté de compréhension pour ne pas prendre la mesure exacte de ‘l’internationalisme’ du mouvement intégriste ? Les femmes militantes du port du voile sont instrumentalisées par toute une nébuleuse dirigée par des milliardaires saoudiens ou d’autres pays totalitaires et féodaux. Leur but, qu’ils ne peuvent ouvertement déclarer, est de maintenir les populations immigrées sous leur coupe, de façon à pouvoir les contrôler et à faire appel à elles le cas échéant. C’est aussi de créer des communautés suffisamment fanatisées pour ne plus répondre aux besoins de vraie démocratie, et au contraire créer une force d’intervention en faveur de leurs intérêts de classe, car de gros enjeux financiers sont en cause derrière cette histoire de voile. […]
Il fut un temps où la bataille contre la curetaille et les grenouilles de bénitiers était frontale. Maintenant on en revient à l’ordre moral, porté par les femmes elles-mêmes.
Le combat pour l’émancipation des femmes passe par un changement radical de politique, assorti d’un programme d’éducation, dès la maternelle, tant envers les garçons qu’envers les filles. Les garçons sont bien les grands absents du débat alors qu’ils sont directement concernés par l’oppression des femmes.
Par contre, dans ce soi-disant combat pour la liberté des femmes , il est étonnant de voir autant d’hommes militer en faveur de leur soumission. Alors que ces mêmes hommes refusent de « parler politique » et s’abritent derrière l’alibi religieux. […]
Le but poursuivi n’est rien d’autre que d’arriver à créer un mouvement d’ampleur, pour modifier la donne politique en France, et pas dans le sens d’un progrès social. Ne rions pas trop de Latrèche, il risque de nous réserver de très mauvaises surprises. De même qu’un Ramadan.
Si des jeunes de banlieues, en ce moment sont largués dans cette société d’exclusion, les discours d’un Latrèche ou d’un Tariq Ramadan peuvent très bien les amener sur d’autres rails, très rigides ceux-là, de l’islamisation version ayatollahs ou talibans, qui prônent jusqu’à la désobéissance aux parents, car leurs parents sont de mauvais musulmans, et ne sont pas des exemples à suivre !
Une autre question me frappe en tant que femme : Pourquoi doit-on voiler les femmes ? Parce qu’elles seraient tentatrices ? Parce que, sous le regard des hommes, elles voudraient protéger leur pudeur ? Parce que, non voilées, elles seraient des victimes potentielles de ces messieurs qui ne savent pas maîtriser la montée de leurs pulsions ? Mais alors c’est toute la psychologie masculine de ces hommes-là qui reste à revoir.
C’est : "Cache-toi femme ! Car moi je suis un faible, un immature incapable de retenir mes pulsions sexuelles." Cela est dit dans un grand raccourci, mais dans le fond c’est exactement ce qui se passe, et ça relève de la psychanalyse. Sous prétexte de religion, c’est tout le rapport au corps, au sexe, qui subit la plus grande censure jamais exprimée depuis des décennies. Je suis choquée que des féministes puissent se sentir solidaires de cette volonté de se voiler, alors que ce voile fait reculer de plusieurs siècles les avancées durement acquises en matière des droits des femmes et de libération des mœurs.
Ce n’est pas parce que le corps de la femme est partout traité comme une marchandise qu’on doit accepter leur soumission volontaire sous prétexte de pudeur. Quand des femmes revendiquent leur propre soumission, on peut parler d’aliénation. Certains d’entre nous se voileraient-ils volontairement les yeux ? C’est un fait établi que les filles voilées, refusant toute tentative de discussion, refusent aussi les cours d’EPS, boycottent les cours de biologie, réclament des lieux non mixtes, alors que la mixité a été une victoire des luttes menées dans les années soixante.[…]
D’autre part, il est déplorable, jusque parfois dans les résolutions de la LCR, de ne parler des immigrés venant du Maghreb ou de pays où l’Islam est religion d’État, uniquement comme de « musulmans », comme si tous ces gens se déterminaient uniquement par cette religion. N’ont –ils donc pas droit à l’athéisme ? N’y a t il donc point de Maghrébins athées, ou de Maliens, ou d’Indonésiens, ou d’Iraniens, etc. ?
Ne parler d’eux qu’en termes religieux les enferme un fois de plus dans ce communautarisme dont beaucoup voudraient bien sortir. Qu’ils soient croyants, ou athées, ils subissent de la même façon toutes les discriminations que subissent en France les étrangers. L’apartheid larvé, celui qui n’ose pas dire son nom, mais qui dans les faits existe bel et bien, est le même pour tous, car ce n’est pas la religion qui est stigmatisée, mais bien l’origine, la couleur de peau et surtout l’appartenance aux classes populaires les plus pauvres et les plus fragiles.
Le discours religieux n’a d’écho que par l’absence remarquée des politiques sur le terrain. Je peux témoigner d’expérience, que des musulmans et mêmes des Africains christianisés, avec des « inchallah », et des « si Dieu le veut » plein la bouche, ce fatalisme induit par l’irrationnel, ont tôt fait d’abandonner leur fatalisme lorsqu’ils obtiennent par les luttes, pour le logement notamment, des résultats positifs.
Les familles relogées, vivant depuis des années dans des taudis immondes, sans espoir, ont appris ce que veut dire le mot "lutte", et ce qu’est le résultat d’une lutte palpable, bien réelle, et ça n’a pas grand chose à voir avec un dieu quelconque. Ce dont elles ont pris conscience, c’est de leur propre force. […]
Et pour l’édification de ceux d’entre nous qui ne le sauraient pas, ces saintes nitouches se la jouent peut être prude et vierge, mais il est bien connu que cette exigence de virginité n’empêche pas certains rapports sexuels. Cette exigence de virginité, bien que prônée par les « prudes » militantes et voilées, amène certaines filles à se faire sodomiser au risque de séquelles physiologiques, à pratiquer de gré ou de force la fellation ou d’autres attouchements qui, dans ce contexte deviennent pervers.
Ces pratiques sexuelles, en soi non condamnables si elles sont librement pratiquées entre partenaires consentants, deviennent, sur ce fond de pruderie hypocrite et de violence sexuelle, un apprentissage de l’amour détourné et dangereux aux plans psychologique et physiologique. Ni ces messieurs, ni ces dames n’ont fait vœu de chasteté, et il est courant de voir des fantômes en bûrka acheter des dessous affriolants. Mais parler de sexe est-il encore permis, même dans nos propres rangs, ou est-ce devenu un tabou? […]
Pour avoir assisté au colloque national des femmes de quartier à la Sorbonne, en 2002, je sais que les revendications premières des femmes issues de l’immigration étaient très loin du port du voile. Les témoignages portaient sur les mariages forcés, sur leur désir d’émancipation, d’échapper à la tutelle des hommes, jusqu’au viol matrimonial qui a été dénoncé. Ces femmes-là ont aussi abordé les problèmes sociaux concrets, les discriminations à l’emploi, l’exploitation dont elles sont victimes dans leur travail, très souvent sous-qualifié. […]
D’autre part, si nous, en France, voulons aider les femmes immigrées à se libérer des jougs qui pèsent sur elles, il ne faudrait surtout pas oublier les accords bilatéraux — trop peu connus — qui existent entre les pays d’origine et la France. Nos grands défenseurs tolérants du port du voile savent–ils (certainement oui, car ce sont d’éminents intellectuels) que la Charia régit la vie des femmes algériennes en France, de même pour les Marocaines, les Maliennes, et pour toutes les ressortissantes des pays où des lois discriminatoires frappent les femmes de plein fouet ? Le divorce, pour les Algériennes, est régi par les lois algériennes, de même que la garde des enfants, de même les lois sur l’héritage. Une Algérienne qui épouse un non musulman n’est pas reconnue comme mariée, etc.
Alors arrêtons notre aberration de « tolérants de l’intolérable », et battons-nous plutôt contre ces accords bilatéraux qui font qu’une femme algérienne reste mineure même sur le sol français. Combattre ces accords serait aller dans le sens réel de l’émancipation, de la liberté des femmes immigrées, et placer dans le contexte social, dans le contexte de la lutte de classes, cette question du voile, en combattant les islamistes politiciens comme nous combattons le FN.
Ce sont des erreurs majeures d’analyse politique que nous payons maintenant, et que payent surtout celles qui se battent pour leur émancipation.
Amener les gens à se battre pour leurs droits sociaux, pour le logement, pour le travail, pour de meilleures conditions de vie, pour le respect qui leur est dû, pour offrir un avenir à toute cette jeunesse jetée sur le carreau sans espoir, pour l’égalité de tous, pour une réelle alternative politique à notre société, et tous ensemble, voilà la solution, et c’est cette solution-là que, pour ma part, j’ai choisi depuis longtemps, avec quelques résultats positifs à la clef, qui me confortent dans la position qui est la mienne.
Gisèle Chopard
LCR, Drancy
mardi 3 février 2004