1er août 2004

Le monde virtuel vainqueur
du monde réel


a sauvage agression antisémite contre la pauvre petite Marie Leblanc... n'a pas eu lieu. Elle n'était que virtuelle ! Mais... elle aurait pu avoir eu lieu. Et, en somme, cela est bien suffisant pour avoir justifié la noble indignation unanime de la nation, de son président, Chirac le Magnifique, aux plus minimes speakers de la télé, et aux pâles opposants qui ne voulaient pas demeurer en reste au risque de se voir traiter de suppôts des Palestiniens.
Nous nous devons donc de relever l'apport particulier, trop peu remarqué, du grand philosophe Taguieff, sur Fr3. Avec la profondeur d'analyse qui le distingue, il avait souligné qu'on tenait là, avec cet acte monstrueux, l'unité de cet antisémitisme virtuel arabo-négro avec celui du fascisme nazi, CQFD. Les nouveaux philosophes sont les maîtres de la Haute Virtualité.
Que, dans ces mêmes jours de communion virtuelle, le très réel Sharogne ait pu augmenter sa dose quotidienne d'assassinats de Palestiniens (tous terroristes vérifiés, comme l'on sait, sauf inévitables bavures), cela n'est que variation d'un train-train sans grande importance... Une peu lassant même ! Que le réel est peu de chose !
Du coup, le très réel Sharogne a dénoncé au monde entier "l'effroyable montée d'un antisémitisme déchaîné" dans notre Hexagone. Même qu'à côté, 1942 et le Vel d'Hiv, ce n'était que de la petite bière. C'est virtuel, certes! Dans le réel, on n'a réussi pour le moment à mettre la main que sur un petit minable de skinhead, tagger de signes nazis sur des tombes. Vrai encore qu'il y a de plus gros poissons. Par exemple en Alsace. L'ennui est que, là, les taggers de tombes, après les juives s'en sont pris aux musulmanes. Bon ! Ces dernières, on n'en fera pas un plat. Ces signatures en croix gammées et celtiques n'aident pas la bonne cause. Et c'est pire en Corse où, sans se préoccuper de la télé, ce n'est qu'aux Maghrébins que la mafia nationaliste s'en prend ! Glissons ! Ce ne sont que des "détails", comme dit le Chef.
Pour sauver ses co-religionnaires menacés par la terreur virtuelle (et qui y croient dur comme fer : on en a vu à la télé faire leurs bagages), le très réel Sharogne leur propose de venir dans la sécurité de son très réel Mur du même nom, où ils n'auront rien à craindre des kamikazes palestiniens, vu qu'il tue leurs chefs tous les jours, comme Chirac n'est pas capable de le faire dans les banlieues. Faut tout de même dire qu'il est intéressé, le Sharogne, et qu'il rêve d'un million de colons supplémentaires. Qu'il mettra où ? Puisqu'il n'y a pas de place pour le retour des Palestiniens qui ont dû fuir leurs terres ? Mais à la place de ceux qui restent encore, bien sûr, dans le "Grand Israël" dont la virtualité se réalisera bientôt, puisque personne ne l'en empêche, ni ne l'en empêchera.
Par exemple, grâce à ce chef-d'œuvre de la Haute Virtualité : les juges de la Cour internationale de Justice condamnent la "Mur de Sécurité" dressé en terres palestiniennes (cette très réelle magnifique construction qui fait honte posthume au misérable Rideau de Fer de la RDA). Et en plus, l'Assemblée générale de l'ONU confirme cette condamnation. Naturellement, les très réels États-Unis n'ont pas voté une telle insulte à la juste politique antiterroriste d'Israël. Et que représentent les autres États, sans les États-Unis. Rien que des loqueteux qui condamnent et votent sans nul pouvoir contraignant ! Donc magnifique acte virtuel ! Pareil que l'histoire de Marie Leblanc ! Plein les télés, et les journaux ! Vous ne retiendrez que ça ! C'est beau, c'est grand, c'est mondial. Quant au Mur...

Et le Darfour ? Où c'est ça, dans la réalité ? Quelque part en Afrique, dans le désert (c'est très peu réel, un désert), et il paraît qu'il y a là bas un génocide de populations noires que massacrent des paramilitaires à la solde du gouvernement soudanais. (Remarquez qu'avant, depuis des années, ça durait dans tout le sud de ce pseudo pays, dont les frontières virtuelles sont néanmoins aussi sacrées que celles des Paradis fiscaux).
Mais là, au Darfour, cela a soulevé la colère virtuelle de la Communauté internationale : ONU, ministres des Affaires étrangères et tutti quanti ! Et qu'ont-ils fait de réel ? Ils ont voté des tas de résolutions ces derniers mois, d'une virtualité de plus en plus pressante, exigeant sans ménagement du gouvernement soudanais qu'il désarme ses assassins stipendiés.. Et il a accepté ledit gouvernement. Mais c'était virtuel. Il ne l'a pas fait. Mais c'était tout de même une belle victoire pour la télé. Et maintenant on se fâche virtuellement très fort : il n'a plus qu'un mois pour les retirer ses mercenaires. En un mois, c'est une marge raisonnable, qui leur donne encore du temps pour massacrer, violer, et laisser crever de façon très réelle. Mais l'important, c'est l'énergie virtuelle de la Communauté internationale.

Mercenaires et paramilitaires
Que dites-vous de ce Darfour ? Qu'il fallait y intervenir, que c'est un cas de droit à l'ingérence, et que les paramilitaires, hors-la loi par définition, les arroser de bombes ne serait que justice !
Eh là ! Ce n'est pas l'Iraq où il y avait des armes virtuelles de destruction massive virtuelle ! Et puis, les paramilitaires, c'est fini le temps où on les condamnait, virtuellement, après leurs mauvais coup (Bob Denard, ça vous rappelle quelque chose ?). Maintenant ce sont des gens qu'ils faut non seulement admettre mais respecter. Fr 3 leur a consacré deux dossiers de son journal télévisé, et ne leur a pas mégoté son admiration.
Et puis, sans eux, comment s'en sortir en Iraq, alors que la coalition se délite, que des bouillants alliés d'hier commencent à enlever leurs troupes sous le simple prétexte que les terroristes leur décapitent. un ou deux concitoyens par-ci par là (Heureusement, il y a de courageux gouvernants, héroïques mêmes, comme celui du Japon et M. Berlusconi, qui sont prêts à ce que leur dernier soldat meure à son poste pour ne pas démériter de l'Oncle Bush). Et c'est bien nécessaire, car les indomptables US marines, que le cinéma nous appris à aimer, en ont ras-le-bol d'une guerre qui ne se déroule justement pas comme au cinéma. D'où la nécessité des mercenaire paramilitaires. Il y en aurait déjà plusieurs dizaines de milliers en Iraq. Payés cher : dans les 10 000 euros et des poussières par mois. Mais ça vaut le coup. Et avec ces gars là, pas question d'avoir des problèmes du genre Conventions de Genève. Ce sont nos héros virtuels et réels en même temps. On ne les voit pas, mais ils sont là. Et, en plus, quand des Irakiens, forcément terroristes, ont le mauvais goût d'en trucider trois ou quatre, quel belle indignation horrifiée à la télé !

John Kerry, président virtuel
A propos d'Iraq, John Kerry, "Présent au rapport", avec salut militaire comme au Vietnam, où il est très fier d'avoir fait son devoir en tuant des "naqués" (qui avaient, les lâches, attaqué les États-Unis, comme chacun sait), est en général contre les guerre si on les fait contre les périls virtuels. Oui, mais l'Iraq est une épine réelle, et s'il n'y avait pas de virtuelle Al-Khaïda avant la guerre, la vérité virtuelle dit qu'il y en a maintenant. Donc, il faut chasser Bush le menteur, mais continuer sa guerre contre ces Irakiens qui ne veulent pas d'un gouvernement made in CIA. Problème ! Une revenante à peine défraîchie, Madeleine Albright, nous a sorti de sa manche la solution virtuelle : Bush par terre, l'Iraq redevient affaire de l'ONU, les États-Unis pardonnent à ceux qui en Europe ne sont pas allés détruire les armes de destruction massive virtuelles, et plus de problèmes : les Français et les Allemands pourront envoyer des troupes se faire sauter par les Irakiens. Agréable virtualité ?

Élections en Afghanistan
Elles auront lieu en ce pays où elles sont impossibles. Elles seront seulement, mais rigoureusement, virtuelles, et n'en auront pas moins des résultats réels. Et les élus réels exerceront un pouvoir virtuel. Soit la perfection même de la démocratie made in CIA.
Les Taliban risquent tout de même de créer quelques problèmes réels à ce chef-d'œuvre de virtualité. Et, à propos de Taliban...

Les Taliban de Guantanamo
Après plus de deux ans de détention hors toutes lois, et après avoir subi des exactions qui relèvent plus ou moins de la torture, quelques prisonniers sortent, dont quatre des sept qui ont la nationalité française. Il semble bien que ce ne sont que des terroristes virtuels : de pauvres gars à qui des mollahs avaient bourré le mou avec des virtualités coraniques, et qui se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment de l'intervention yankee. Mais, comme l'a dit un journaliste avec tout le sens diplomatique qui honore la profession : "Il ne s'agissait pas de faire perdre la face (virtuelle) aux États-Unis." D'où juges "anti-terroristes", détention maintenue, actes d'inculpations invraisemblables pour crimes virtuels. Plusieurs sont partis pour faire la "Djihad" en se battant dans les rangs taliban, donc, en somme comme mercenaires ! Mais alors, à ce titre, il faut immédiatement les libérer et les remettre sur le marché, où la concurrence doit être libre entre les causes. Non ! Cette virtualité là n'a aucun sens.

Budget, capitaux et Rafales
La France doit faire des économies. Il faut diminuer les dépenses publiques. Diminuer le nombre des fonctionnaires, surtout dans les hôpitaux et les écoles où ils ne sont pas rentables. Il faut faire payer un euro la consultation médicale jusqu'aux plus pauvres. Car la Sécurité sociale coûte trop cher. On ne pourra pas augmenter le SMIC. Il faut comprendre : les profits doivent augmenter, donc il faudra travailler plus sans augmentation de salaires. On gardera les 35 heures (Chirac l'a juré, et il n'a qu'une parole, ou deux, enfin !), mais on travaillera 36 heures, 37, 38, 39, 40... Du coup les capitaux partis ailleurs vont rentrer, on ne leur fera pas payer ce qu'ils ont volé en se cachant. Et comme ça on pourra payer à M. Dassault 39 avions Rafale qui seront bien utiles pour nos guerres coloniales (un nouveau Rwanda peut si vite arriver, par exemple en Côte d'Ivoire, où les paramilitaire — toujours eux —, mais "loyalistes" — télé dixit — du socialiste Gbagbo n'arrivent pas à en finir avec les rebelles qui ne sont même pas ethniquement d'authentiques "Ivoiriens"), et, qui sait, pour l'Iraq selon Mme Albright. Dans le meilleur — ou le pire — des cas, ce sera pour la seule dignité et grandeur de notre armée.
Que fait l'Opposition ? Aussi énergique que l'ONU : elle proteste virtuellement, en attendant l'élection présidentielle où nous espérons un Kerry à nous, socialiste virtuel comme Schröder ou Blair, capable de faire la même politique que la droite, mais virtuellement toute différente.