Il est intéressant danalyser leur stratégie. Ils savent que, désormais, ceux qui ont décidé de voter NON ne changeront pas davis, car leur choix est motivé par la compréhension du caractère réactionnaire et mortifère de la pseudo-Constitution. Ils visent donc, dune part la masse de ceux qui ne lont pas lue et ne la liront jamais, indécis et abstentionnistes ordinaires, dautre part les électeurs traditionnels de droite de la petite et moyenne bourgeoisie, hostile à la Constitution parce quils voient bien quelle va, non seulement à lencontre des intérêts du monde du travail, mais aussi contre les leurs, toutefois restent sensibles au terrorisme intellectuel de la menace du chaos.
Doù une double attaque. Dun côté le mensonge sur le contenu du texte, jusquà lui faire dire le contraire de ce quil contient, et les insultes contre les partisans du NON ; de lautre la tentative de démonstration alambiquée quil ny a pas dautre issue que la Constitution, que sans elle ce ne sera pas le statu quo et la nécessité dun tournant radical de la construction de lEurope, mais quelle seffondrera.
Voyons dabord le côté des mensonges contradictoires et des cris de haine.
A tout seigneur, tout honneur : le Bolkestein et sa directive ! Il a cru, quil a dit, que nous le prenions pour un loup garou. Mais non, mais non, bonhomme ! Si toi tu nous prends effectivement pour des idiots ; nous savons ce que tu es, ancien crocodile de la Shell devenu technocrate du Capital tout entier ! Et venir nous expliquer que ta directive partait des meilleurs sentiments, quen fait elle était déjà appliquée et que, dune façon ou dune autre, il faudrait bien lavaler, après un « remaniement technique et pas un retrait du texte. » Si nous tavons cru là-dessus sur parole, tes pauvres amis Ouis-titis ont dû se sentir mal, eux qui se tuent à nous jurer le contraire, tel le bon Hollande, sur France Inter, le 14 mars, disant à Pascal Paoli : « La directive Bolkestein nest pas approuvée ! Cest-à-dire, cest un projet de directive, qui est dailleurs totalement remise en cause. Et cest dailleurs soyons-en fiers ce sont les socialistes européens qui ont permis ça. Donc, il ny a plus de directive Bolkestein. » Et le bon Dominique Strauss-Kahn (vous savez, lavocat qui faisait payer au prix « normal » de plusieurs millions de francs ses conseils à la Mutuelle étudiante), à France Inter encore, le 9 mars, « Nous avons demandé et obtenu le retrait [sic] de la directive Borkestein ». Laissons de côté la parole de Chirac qui jure que cest lui qui a renvoyé la directive, dailleurs non à la poubelle, mais à la réécriture, et pour la bonne raison, exposée avec force arguments par Antoine Rémond, dans Le Monde du 9 avril que LA DIRECTIVE BOLKESTEIN NE SERA PAS MODIFIEE, vu que la Commission européenne, ce pouvoir au-dessus de tous les pouvoirs européens, seule le pourrait mais ne le veut pas.
Vous connaissez lhistoire russe : « Quand je tai rendu ta cruche, elle nétait pas cassée, dailleurs elle était cassée avant que tu me la prêtes, et puis, tu ne me las jamais prêtée ! » Cest exactement lhistoire de la directive Bolkestein : « Elle est supprimée, et puis elle sera corrigée, enfin on la gardera mais ça na rien à voir avec la Constitution. ». Les pauvres Ouis-titis ! Que de grimaces ! Certes, la directive Bolkestein nest pas dans la Constitution, mais la « concurrence libre et non faussée » (68 fois dans la Constitution !) la permet, et rien ny peut faire obstacle, doù la tranquillité de Frits pour son avenir
à moins que le NON lemporte !
Mais, la Constitution elle-même, comment la défendre ? En jurant quelle contient ce qui ny est pas. Le gros morceau ce sont les « services publics », ignorés de la Constitution qui y substitue les Services dintérêts généraux, privés ou publics, mais tous soumis à la « concurrence libre et non faussée », cest-à-dire interdits daide des Etats. Martine Aubry a dit le contraire à Dominique de Montvallon, à propos de louverture à la concurrence de la Poste (doù linterdiction de baisse de ses tarifs !) : « Non seulement ce nest pas lEurope qui le fait [vrai ! mais selon lexigence européenne], mais cest fait avant la Constitution qui justement, pour la première fois, accepte de reconnaître [où ?] que des services publics peuvent exister dans des pays, cest-à-dire que des Etats peuvent financer complètement des services publics sans rentrer dans les règles de la concurrence européenne. » Il est évidemment difficile de mentir plus cyniquement.
Et pour faire passer, la Martine Aubry en rajoute : « Les tenants du non attisent les peurs. Cest grave quand ce sont des femmes et des hommes de gauche parce que cela rappelle une certaine campagne, quand on a fait peur aux Français sur la sécurité. »
Et qui donc faisait peur, chère Martine ? Ton propre état-major si mes souvenirs sont exacts. Et qui dénonçait cette campagne ? Des gens qui votent NON aujourdhui ! Et qui tente de nous terroriser en tranchant : « Une victoire du non équivaudrait au souffle dune bombe atomique ! » ? Ton copain Ouis-titi Strauss Kahn. Tandis que ton allié, le Ouis-titi Bayrou sécrie de son côté (Le Monde, 7 avril) que si le non lemporte : « Je vous le dis de toutes mes fibres, il pleuvra plus de 40 jours. » A savoir : ce sera lApocalypse. Beau duo de la terreur.
Et si vous nêtes pas terrorisés, cest, comme vous le déclare, dans Marianne du 19 février, cette vieille girouette rouillée en position droite de Rocard, que vous pataugez dans « une pollution, une mystification et un mensonge, le choix du néant, une piscine sans eau, de lagitation danalphabètes. » Faut-il que ces gens soient terrorisés eux-mêmes pour en arriver à tomber si bas ! Mais par quoi ? Par rien dautre, hélas ! que par la perspective de perdre leurs portefeuilles de porte-coton du Capital. Ils se sont si bien installés dans le confort libéral que sa mise en question est pour eux, effectivement, le spectre de la fin du monde.
Cependant, comme il y a des gens qui ne se laissent pas impressionner par le baratin de baraque de foire et par les films dhorreur de série B, il y a les ouis-titis en smoking pour tenter des argumentations à allures savantes, économiques, historiques, philosophiques.
Ainsi M. de Villepin, qui sécrie dans Le Monde (haut lieu du « ouisme » distingué) : « Je ne peux imaginer que la patrie des droits de lhomme refuse de se battre pour des droits directement inspirés de 1789. » Là ! le contresens nest plus un sommet, mais une chaîne de montagnes. Où voit-il labolition des privilèges et des droits seigneuriaux
du Capital. Où voit-il lopposition à lEurope des féodalités de la finance régnant sur la misère des masses ? Où voit-il le peuple levé contre la sainte Alliance de lOTAN ?
et sa tête sur une pique !
Le François Chérèque de la CFDT-Médef, dont tout le monde se souvient des brillantes prestations sur les retraites (en particulier les milliers de syndiqués que sa performance a conduit à briser avec sa Centrale), fait remarquer lisolement du NON dans « le syndicalisme européen ». Cest sans souligner quil sagit du syndicalisme des bureaucraties et non des syndiqués, de pays où ils ne voteront pas plus quen Italie, où cest la « majorité » battue de Berlusconi qui a donné labsolution à la Constitution. En fait, une grande majorité des peuples aurait voté contre cette Constitution si on leur avait donné la possibilité de sexprimer, comme nous lavons, nous, du fait dune erreur destimation de leur autorité des Ouis-titis.
Et ils le savent, tous nos grands eurolibéraux, puisque cest une de leur banque, la Morgan Stanley, qui a calculé que la Constitution navait quentre 34 à 49% de chances dêtre adoptée. Il fallait donc que ce ne soit pas les peuples qui votent.
Un pas de plus dans le raffinement : les Français sont des « euro-sceptiques » et ils souffrent de « sinistrose », voyez-vous ! On se demande en effet de quoi nous nous plaignons en cette Europe du libéralisme. Nous avons un euro qui a permis une honorable hausse des prix, laquelle sest ajoutée au décalage toujours plus grand entre tous les revenus du travail et des retraites avec lesdits prix, et des services publics réduits en moyens et personnels, des hôpitaux à lécole et aux postes. Le chômage ne cesse de croître, malgré les manipulations de ses chiffres par renvoi de chômeurs à la misère pure, qui multiplie les « nouveaux mendiants », et laisse sans emploi des armées de jeunes, surtout dans les zones défavorisées, terreau des « problèmes sociaux » confiés aux soins de la police. Cest ça votre Europe ! Et ce sont les principes qui nous ont amenés à ça qui sont consacrés dans cette Constitution inamendable.
Car tous les Ouis-titis modérés qui nous expliquent que, bien sûr, eux non plus ne la trouvent pas parfaite, quelle a des défauts, mais quil faut la voter pour faire un pas en avant, « rapprocher lEurope réelle de lEurope souhaitée » (Jean-Marc Ayrault, président de groupe socialiste de lAssemblée), quil y a dedans des choses positives ( ?), mais sans nous parler des terribles choses négatives, des vides grands comme des abîmes, tous sont des escrocs, car ils savent quelle est inamendable.
Alors ? Ultimes arguments
1/ Lineffable histrion Val, auto-promu grand penseur politique de Charlie hebdo : Ce quil y a dans la Constitution, cest déjà dans tous les traités européens antérieurs. Or, vous les avez votés ( ?)
puisque vous navez pas élu des Brejnev et des Fidel Castro. Donc « Reprocher son manque de radicalité à la Constitution, cest reprocher aux peuples de sêtre trompés pendant cinquante ans. Elle ne fait que refléter leurs choix. » CQFD. Il manque toutefois un petit hic à cet admirable raisonnement : le droit que nous avons, nous, le peuple, de changer davis, et de dire NON, cest-à-dire MERDE à certains pour qui nous avons éventuellement voté, faute de mieux.
2/ La prime, naturellement, au Monde, via son porte-parole Thierry de Montbrial (encore un de
Où est ma pique !). Un très long article, le 6 avril, pour expliquer quil ny a aucune porte de sortie à la Constitution. Rejetée, cest larrêt vers le pire. Version savante, en au moins dix variantes, de la fin des haricots, de lexplosion atomique de Strauss-Kahn et de lApocalypse selon saint Bayrou. Vous devriez, M.de Montbrial aller en parler avec M. de Villepin : Un 1789 du NON, ça peut aussi déboucher sur un 1792, voire un 1793
en mieux, car lhistoire nest pas forcée de se répéter (et que le petit Naboléon Sarkozy ne se fasse pas dillusions, il ressemble plutôt à un Talleyrand, surtout par le côté merde dans un bas de soie).
Note : Je nai pas eu le temps de vous parler de la mort de saint Jean-Paul IIxIII=VI-da, et des très belles manifestations auxquelles elle a donné lieu, et qui sont pourtant une introduction à ce que serait la laïcité européenne selon la Constitution, si notre NON ne lemportait pas. Son ami Pinochet espère quà cette occasion on labsoudra définitivement de ses péchés mignons, dont Jean-Paul lavait grondé, avec une petite tape sur la joue pour adoucir le reproche.