18 mai 2005

NON !

          Vraiment, ouis-titis, vos arguments sont trop filandreux, trop contradictoires, trop ostensiblement menteurs pour faire reculer notre NON !
          Vous avez beau tricher sur le temps de parole (chez Christine Ockrent, 69% pour le “ oui ”, 31% pour le “ non ”), ne pas y compter les informations qui, comme par hasard, ne cessent de nous parler des merveilles de cette belle Europe libérale, et qui seront encore plus merveilleuses quand on aura voté “ oui ” (un bel exemple sur FR3 : grâce à l’Europe une Polonaise, médecin, a trouvé du travail comme femme de ménage au Portugal en gagnant beaucoup plus que dans sa profession dans son pays !), interviewer des personnalités sur n’importe quoi, qui, comme par hasard, diront leur amour pour la Constitution, choisir des gens de droite pour défendre le “ non ”, truquer les chiffres (ainsi diminuer de 1000 les 6000 participants au grand meeting unitaire du Non, à Toulouse, pour que ça ne soit pas trop au-dessus des pauvres 4000, élevés à 4500, de Sarkozy au Palais des sports. On en passe!
         On dirait vraiment que, dans cette dernière ligne droite, vous vous affolez. Cela se comprend d’ailleurs, puisque tous les événements vous contredisent encore mieux que nos arguments que, d’ailleurs, ils confirment.
         Ainsi du débat sur le temps de travail, où les députés du Parlement ont, dans leur grand esprit social, décidé de ne pas élever la durée hebdomadaire du temps de travail européen au-delà de 48 heures, tandis que la Commission assurait qu’elle ne tiendrait pas compte d'un tel vote démagogique, et qu’une notabilité anglaise nous expliquait le soir même que le “ droit de travailler ” inscrit dans la Constitution devait s’entendre comme le droit de travailler 60 heures et au-delà.
         Mais, on vous en prie, ne tenez pas compte de tout cela, ni du travail gratuit du lundi de Pentecôte, qu’il ne faut prendre ni comme le rétablissement de la corvée, ni comme une atteinte au 35 heures (vers les 48 de l'Europe), ni comme un impôt infligé aux seuls salariés, mais comme l’explique savamment, dans Le Monde, M.Edouard Tétreau (de la Société française des analystes financiers), il s'agit d'une mesure relevant de “ la financiarisation de nos économies ”, et qui n’a rien à voir “ avec la mondialisation ou l’Europe [et ne doit pas donner] de mauvaises raisons pour faire le mauvais choix le 29 mai.” Si cette science ne vous décide pas au bon choix de voter “ oui ”., référez- vous à un autre savant, M. Jean-Yves Boulin (sociologue au CNRS ! Merde alors ! rien que ça ! ) qui, dans le même journal comprend les raisons de votre “ grogne ” qui vous fait “ traîner les pieds pour vous rendre au travail le 16 mai ”, et nous apprend en même temps que nous sommes dans une société post-industrielle où l’on peut régler ces sortes de petits problèmes par “ le dialogue social local ” (vous savez, comme les aime le baron Seillière ), voire des “ banques du temps ”, comme, paraît-il, dans l'Italie de Berlusconi. C’est fou ce que ces savants sont savants ! Et dire que cela ne vous convainc pas
         Pourtant, il y en a un, encore plus savant, dans la même page du même journal, un prix Nobel d’économie (ce prix que les Prix Nobel de sciences ont le culot, les jaloux, de dénoncer comme une escroquerie), Maurice Allais de son nom, et certainement descendant du bon Alphonse Allais, mon compatriote, puisqu’il a l’humour d’écrire : “ Suivant les avis les plus autorisés [ ?], à gauche comme à droite, le projet de Constitution, s’il était adopté, représenterait un rempart majeur contre les excès du libéralisme. ” Ce savantissime aurait bien dû nous faire un dessin, nous indiquer les articles remparts, et nous écrire un volume pour nous les expliquer, bien cachés comme ils sont.
         Mais il est trop tard. D’autant que, la veille, une autre savantissime, Monique Chemillier-Gendreau (professeur émérite de droit public et de sciences politiques à l’Université Denis Diderot) [pauvre Diderot !], avouait, à l’inverse du “ Nobel ”, le caractère libéral de cette Constitution, mais affirmait son “ Oui, malgré la menace … ”. Elle a pas peur comme vous, la Monique ! Le libéralisme, ça doit pas trop menacer sa carrière.
         A côté de ces savants qui nous traitent par le mépris (que nous sommes au regret de leur rendre), il y a Val qui, dans Charlie-hebdo (où il semble qu’il y ait de moins en moins de gens de gauche, en dehors de Siné), nous psychanalyse. Voyez-vous, dans nos têtes de piaf, nous nous croyons internationalistes, alors qu’en fait nous sommes des nationalistes, des souverainistes, puisque notre Non est purement français. Manque de pot pour lui: son encre n’était pas sèche que sortaient les appels des 200 Européens (<elgauthi@internatif.org> et <rousseau@ras.eu.org) des 1000 féministes européennes (<ife-efi@noconstitution.org>), et que les manifestants allemands contre le vote de leur Bundestag agitaient des centaines de drapeaux tricolores (Ça doit être des souverainistes français d'outre-Rhin). Encore une fois, s’il y a un grain de nationalisme dans notre internationalisme, c’est celui des soldats de l’An II et de 93, qui voulaient la Révolution dans toute l'Europe (et qui auraient peut-être réussi s'il n'y avait pas eu cette ordure de Napoléon). Remettant ça une semaine plus tard, Val nous expliquait qu’en fait l’Europe était déjà fédérale, et que la preuve en était que déjà les traités européens l’emportaient sur les législations nationales, et que cela deviendrait absolu avec la Constitution. Il estime même que les ouis-titis, ses copains, sont des lâches qui n’avouent pas ce fédéralisme et ne se battent pas sur ce terrain. S’il a raison sur ce dernier point, c’est que lesdits copains savent bien que s'ils avouent que ce fédéralisme, loin d'être démocratique, n’est que celui des capitalistes européens, cela ajoutera encore au Non ! D’où sort, par exemple, la Cour de Justice européenne ? Un vrai fédéralisme ne pourrait sortir que du débat des peuples, fondant politiquement une République européenne.
Le dernier intellectuel que l’on a tiré de sa retraite (pas trop enthousiaste, semble-t-il), c’est Edgar Morin. Son argumentation est lamentable. Il admet que la Constitution est un monstre de contradictions, comme “ la Bible, le Coran et les Evangiles ”, mais que “ C’est un vice de pensée que de se concentrer exclusivement sur le texte. ”, et que mieux vaut une Constitution médiocre que pas de Constitution du tout. Où est donc passé le théoricien rigoureux ? Le fin analyste des textes ? C’est pire que Le Goff ! Cet homme de textes oublie que les contradictions des livres saints ont permis mille massacres, surtout celui qui prêche l'amour, et que, précisément, si nous disons Non à cette Constitution, c’est que son texte, où chaque mot a été minutieusement pesé, afin de ne léser aucune force de réaction, est la porte ouverte à notre massacre et esclavage social, et sans possibilité d'en sortir pour aller plus loin.
A l’inverse sont les arguments précis qui continuent à s’accumuler pour le rejet sans réplique. Et cela est la meilleure chance pour notre victoire.

Et après ?

         Les lendemains de la victoire espérée s’annoncent délicats. La belle unité qui s’est manifestée à Toulouse va-t-elle tenir ? Si Emmanuelli a eu raison de dire : “ Le oui divise la gauche, le non la rassemble ”, il y a de bonnes âmes de ouis-titis qui, prévoyant leur défaite, s’empressent de dire que “ les socialistes du oui et du non [doivent] garder leur sang-froid ”, c’est-à-dire : "Oublions nos disputes, embrassons-nous, et reprenons le train-train d'avant." Pour ceux qui seraient tentés par cette trahison, ils doivent savoir que les milliers de participants aux 900 comités (qui, en très grand nombre, n’étaient même pas militants avant), ne sont pas prêts à rentrer à la maison et/ou à se faire les colleurs d’affiches d’une gauche plurielle socio-libérale reconstituée. Victoire ou pas, c’est une nouvelle frontière qui s’est tracée dans cette bataille historique qui aura coupé en deux l’histoire de l’Europe en construction. Un front européen du Non est possible et nécessaire. Et en France, c’est ce front qui devra préparer à la fois les luttes et les échéances électorales. Les lignes de rassemblement ont commencé largement à se décanter dans la bataille contre les ouis-titis. C’est dans cette unité du Non qu’il faut travailler à donner structure à la nouvelle gauche anti-libérale. Elle est potentiellement une force formidable. La gâcher serait sans pardon.

Célébrations, mémoire, histoire et mythes

          Soixante ans après, 1945 en ranime des souvenirs ! Et fait aussi sortir des tas de cadavres du placard. Du même coup, l’envie de règlements de comptes se nourrit des politiques présentes des Grands et de leurs petits.
Nous avons déjà souligné comment le sinistre Sharogne avait endossé la cause des martyrs du génocide hitlérien des Juifs pour en faire une justification de sa politique coloniale génocidaire de la Palestine. Il y a été parfaitement aidé par toutes les puissances d'Europe et des Etats-Unis. Non seulement cela était conforme à leur politique générale, mais donnant-donnant, cela évitait de parler des soutiens de leurs pères, dirigeants des grandes démocraties, durant les années trente, à M. le Chancelier Adolf Hitler, cette barricade contre le péril rouge ; de ce qu’ils n’avaient pas fait contre le génocide lui-même ; de leur refus de recevoir les survivants juifs après la Guerre, etc.
Ensuite, il y a eu la célébration de la victoire. Bien entendu sans parler de Hiroshima et Nagasaki, ni de Dresde et autre dégâts dans les villes privées de tout caractère militaire (ce qui a permis aux nazillons d’Allemagne de faire un carton). En revanche, les exactions du stalinisme, sur lesquelles ces MM étaient muets en 1945 (et bien entendu à Nuremberg, où il ne s'agissait pas de comparer les camps de la mort nazis avec ceux du cher grand Allié à moustache), ressortent tout à coup, à la fois comme "anti-communisme" et contre le Poutine, auquel on a rien à reprocher du point de vue de la Tchétchénie (cela, c'est l'alliance dans la lutte contre le terrorisme), mais beaucoup dans sa lutte contre le nouveau grand capital (maffieux) russe, tant de Ioukos que dans les ex-Etats soviétiques, où, appuyé sur les nationalismes locaux, divers potentats sont pressés de s'aider du grand frère américain pour entrer dans l'aire du grand Capital mondial. Que Staline ait commencé la guerre comme allié de Hitler, que sa Contre-Révolution, anti-communiste, ait été, en particulier en décapitant la défense de l'URSS par destruction de l'état-major de la Révolution, responsable de millions de morts inutiles quand Hitler rompit le pacte, cela est encore rayé de l'"histoire.
Reste donc le "États" dont la responsabilité est au-dessus des changements de régimes. Et si lesdits "États" sont devenus politiquement intouchables, parce qu'ils sont maintenant dans le "camp du Bien", et ont demandé "pardon" pour leur passé éventuel, reste la responsabilité des peuples, ces pelés, ces galeux, qui, eux sont responsables de tout ce qui a été fait en leur nom, de mourir et de tuer sans leur demander leur avis.
         Ceci nous amène à l'autre célébration qui, vraiment, tombait mal pour nos grands dirigeants démocratiques : celle du massacre de Sétif, Guelma et autres lieux de l'Algérie coloniale. Là, pas d'autre moyen que d'accepter la responsabilité de "la France", vu que gaullistes, socialistes et communistes (staliniens) étaient ensemble dans le crime (et que pèse le fait que les trotskystes, quasi seuls dénoncèrent le massacre et le chiffrèrent, sur le moment, aux 45 000 morts que l'on continue, sur notre rive, à donner comme excessif ?). Donc condamnation du peuple et du pays, et non du pouvoir politique du moment.
         Et voilà que cela se lie à la révolte sociale des Français de souche immigrée récente, et repérables à la couleur de leur teint, qui sont objets de ségrégation et de dénis de justice divers, et dont certains se proclament "indigènes de la République. Leurs justes protestations, dont les causes sont sociales et politiques, dérivent en mémoire, elle aussi mystifiée. Récemment, un professeur réunionnais, déclara que l'esclavage avait profité, non seulement aux colons, mais aussi au peuple de la métropole. C'est ignorer que le Roi Soleil qui signa le Code noir fut aussi celui qui réduisit la paysannerie française à la plus atroce misère (voir le fameux passage de La Bruyère), et que cela se poursuivit au XVIIIe siècle (voit "l'Ancien Régime" de Taine), et que cela fut la cause principale de la Révolution française. Si l'on veut trouver une responsabilité au peuple de la "Métropole", ce ne peut être qu'aux deux moments où il commande la situation: celle des deux révolutions qui, l'une et l'autre, abolirent l'esclavage. Son rétablissement par Napoléon signa la défaite du peuple révolutionnaire français. Le second Napoléon reprit la politique coloniale de la monarchie bourgeoise, au-delà d'une seconde défaite du peuple. Enfin la IIIe République coloniale fut encore la suite d'une défaite populaire, celle de la Commune.
         Il importe donc que nos compatriotes plus ou moins colorés comprennent le sens de classe de ce dont ils souffrent. Même les comportements populaires racistes sont des produits d'une éducation idéologique de classe et/ou d'une ignorance entretenue par le système de classe. Pour sa part, l'auteur de ces lignes voit avec bonheur sortir des écoles de son quartier des enfants de toutes les couleurs, joyeusement mêlés. Nos seuls ennemis communs sont les capitalistes, leurs serviteurs politiques et médiatiques. Blancs de peau, et issus de trentième ou soixantième génération d'immigrés, ce sont les mêmes ennemis de classe que nous avons, et même s'ils nous traitent un peu moins mal que vous, fils et filles de parents des ex-colonies, néo-colonies, et d'immigrés de la deuxième ou troisième arrivée, nous savons — ou devons savoir — que nous n'avons rien à attendre de bon de nos exploiteurs, doublés de leurs mystificateurs, si unis nous ne nous battons pas pour leur infliger de grandes défaites historiques, aujourd'hui en Europe, demain à l'échelle mondiale.


Le Journal intempestif est heureux
de vous annoncer la parution de


LE TROTSKISME
UNE HISTOIRE SANS FARD

De son rédacteur
Michel Lequenne
Editions Syllepse - 24 Euros

Ledit auteur présentera son œuvre
Le jeudi 26 mai, à 18 h 30
A la Librairie La Brèche
27 rue Taine – Paris 12e