Leçons dAllemagne
LAllemagne na pas eu de référendum sur la Constitution européenne. Les Allemands nont pas eu notre chance dune campagne qui leur aurait permis de se mobiliser pour voter NON à ce monstre du "libéralisme" (mot mystificateur dont se couvre le capitalisme sous sa forme la plus féroce). Mais, potentiellement, les échecs de Schröder lors des élections locales annonçaient le refus de son social-libéralisme dont les contre-réformes étaient du même type que celles de notre pur libéral Raffarin.
Pourtant, sa défaite na été que partielle dans les législatives, en face dAngela Merkel. Mis en face de deux maux, nombre délecteurs allemands ont choisi celui quils ont jugé le moindre, de la même façon que les électeurs français avaient voté Chirac contre Le Pen, puis choisi le moindre mal "socialiste" dans nos élections daprès avril 2002.
Certes, en Allemagne, il y avait un tiers parti, et nettement anti-libéral : le Linkspartei ! Mais s'il a dépassé les 8,1% des Verts avec 8,7%, cela reste encore très minoritaire. Pourquoi ?
Parce quil sest formé tardivement, et sans avoir eu, pour plonger des racines, une campagne du type que nous avons faites pour le NON. Dautre part, sa composante PDS, ex-parti communiste, na pas le déjà long passé de prise de distance avec le stalinisme qua notre PCF, mais au contraire le poids de ce quil a été dans la RDA. Il va falloir au Linkspartei encore quelque temps pour sélargir à des forces nouvelles.
Mais il va avoir pour lui la dure expérience que lAllemagne va connaître avec la Grande Coalition SPD-CDU. Nest-ce pas déjà, en soi, une leçon de choses éblouissante que le choix du SPD de chercher et de trouver un compromis "naturel" avec la droite, plutôt que de revenir à une vraie politique de gauche avec le Linkspartei ? En aucun cas ce qui garde le nom de social-démocratie ne veut rompre avec le libéralisme. La coupure est historique : social-libéralisme, libéralisme, ultra-libéralisme ne se distinguent que par des nuances. Ils peuvent sentendre sans trop de peine. Mais un fossé qui se creuse en précipice les sépare du monde du travail qui, de plus en plus fort, crie : NON au libéralisme !
La leçon vaut pour la France !
Le NON au libéralisme est majoritaire en France
Ce nest pas nous qui le disons ! Cest la conclusion du livre Le Jour où la France a dit non, uvre collective sous la direction du démographe M. Le Bras, publié par la Fondation Jean Jaurès, soit un organisme proche du PS. À vrai dire, nous navions pas besoin de leurs savantes recherches sociologiques pour le savoir. Mais il est bon que cela soit confirmé et prouvé par le camp social-libéral, même si les savants professeurs expliquent cela par la "peur sociale"
qui est plutôt de leur côté, tandis que le nôtre est plus de colère, de ras-le-bol et de naissance dune nouvelle conscience de classe du monde du travail face au monde du fric déchaîné, du cynisme, de la violence et du racisme.
Majoritaires nous sommes ! Mais dispersés. Il a fallu que la bêtise de Chirac nous donne la chance du référendum pour que nous la saisissions et que des centaines de milliers de citoyens sorganisent en comités et mènent ladmirable campagne du NON. Certes, les organisations anti-libérales partis, fractions de partis, syndicats et organismes divers ont joué un rôle moteur dans cette campagne de masse contre 99% des médias. Mais nul dentre eux naurait pu, isolément, réussir à réveiller le pays, paralysé par les institutions de la Ve République. La victoire du NON est une victoire de lunité du monde du travail, des ouvriers et des paysans jusquaux techniciens et intellectuels.
Paradoxalement, c'est donc une victoire électorale qui démontre que le système électoral, et donc les institutions de la Ve République sont anti-démocratiques. Née du coup de force dAlger imposant De Gaulle, qui l'imposa par son coup d'État "légal", cette Constitution, en remplaçant le suffrage proportionnel par les scrutins majoritaires à deux tours, tendait à ce que s'instaurent un bipartisme et un présidentialisme à l'américaine. Il fallut un premier ministre "socialiste", Jospin, pour aggraver ce présidentialisme en plaçant l'élection présidentielle avant les législatives, puis un Raffarin pour régionaliser les élections européennes, diminuant ainsi les représentations minoritaires. Si l'on ajoute à cela les conditions financières énormes imposées comme conditions des candidatures, on a, comme partout où existent de tels systèmes anti-démocratiques, la croissance de l'abstention de la part des citoyens qui constatent leur impossibilité d'être authentiquement représentés, et/ou la pauvre solution de voter selon le principe du "moindre mal".
C'est ainsi que le référendum du 29 mai a permis un vote clair, là où notre système électoral l'interdit, et une victoire brillante opposée à toutes nos défaites électorales antérieures.
Mais le pouvoir est campé dans sa citadelle institutionnelle. Il a tenu ce vote pour nul et non avenu, de même qu'il n'a pas tenu compte des plus grandes manifestations, tout en en tirant les leçons pour
accentuer sa politique réactionnaire, tandis que le favori de la droite, Sarkozy, cherche à éviter le premier tour d'avril 2002 en gagnant
les voix de Le Pen. Le pouvoir et tout le monde libéral nous attend
au piège de l'élection présidentielle.
Le piège de l'élection présidentielle
L'élection directe, nationale, d'un Président de la République par un scrutin majoritaire à deux tours n'a de logique qu'en cas de bipartisme. Sinon c'est un piège, dont le 21 avril 2002 est la démonstration criante, qui rend stupide la fameuse formule : "au premier tour on choisit, au second on élimine." En effet, le choix du premier tour pour un candidat qui n'a aucune chance d'être au moins celui qui arrive en deuxième position par le nombre de voix est comme voter pour l'adversaire. Si, pour le 21 avril, la "gauche plurielle" ne s'était pas divisée, son candidat aurait été au second tour et aurait pu battre les 19% de Chirac.
De même si, en 2007, la "gauche du 29 mai" ne se met pas d'accord pour un candidat unique, aucun de ses candidats ne sera au second tour contre le candidat de droite qui pourra être un Sarkozy, et sera dans la triste obligation de s'y opposer en votant pour quelque Strauss-Kahn, ou
n'importe qui ! C'est ce que j'ai appelé la "roulette russe", en précisant qu'à la différence de ce système de jeu suicidaire, ce ne serait pas une seule balle qu'il y aurait dans le barillet, mais cinq sur six logettes !
Comment éviter une telle catastrophe, qui annulerait l'effet de notre victoire du 29 mai, démoraliserait toute la gauche antilibérale, et détruirait la plupart des responsables d'une telle faillite ? En travaillant dès maintenant aux conditions d'une telle candidature unique, c'est-à-dire à l'établissement du programme d'accord commun à tous les éléments de cette gauche réelle.
Tous les reculs par rapport au 29 mai, tous les patriotismes d'appareils, toutes les illusions de popularité, toutes les volontés d'hégémonie, toutes les rancurs sur les fautes d'hier des uns ou des autres, toutes les impatiences comme toutes les timidités doivent être dépassés, pour éviter une défaite qui serait commune.
Et que l'on ne dise pas que l'élection d'un Sarkozy ou d'un Villepin ne serait que cinq années à passer. La "victoire" d'un Chirac nous a montré ce que la droite faisait d'une majorité parlementaire en face d'une opposition politique de pleurnichards impuissants.
Même si la majorité réelle du 29 mai ne remportait pas l'élection présidentielle (mais un Mitterrand ne l'a-t-il pas remportée en 1981 ?), une nouvelle, et authentique gauche anti-libérale à plus de 40% serait une sacrée autre opposition que la "gauche respectueuse" de MM. Hollande, Strauss-Kahn, Lang et C°, et secouerait la masse des syndicats dont les directions sont intégrées au système !
Tel va être l'enjeu de l'élection présidentielle. Se le cacher en refusant de le voir et d'en parler clairement, c'est se mettre la tête dans le sable comme on dit que le fait l'autruche pour éviter le chasseur, ce qui, bien loin de lui éviter la mort, fait d'elle une cible parfaite.