15 novembre 2005

Sur la corde raide

          Aucun des conflits actuels n’est réglé. Mais les tensions sont tous au point de rupture. Leur degré d’importance immédiate n’est pas dans l’ordre que donnent les médias. Après le bradage de la SNCM, il faut braquer toute notre attention sur… La grève des chauffeurs de bus de Marseille. Si ce n’est pas la première grève contre la liquidation des services publics, c’est bien la plus longue et la plus déterminée sur un objectif qui dépasse les grévistes, mais nous concerne tous. Les grévistes ne se sont pas laissés rouler dans la farine d’un médiateur qui, comme toujours, leur proposait une capitulation habillée en «  compromis ». On a vu sur FR3, un des patrons expliquer qu’il s’agissait d’une lutte pour le pouvoir, entre la municipalité représentant la population et… la CGT ! Et cela a été repris par une manifestation d’extrême droite, donnée comme celle du peuple. On n’avait plus vu cela depuis la Guerre froide. C’est bien le signe du retour de la lutte de classes à visage découvert. Mais, en même temps, une menace contre la direction confédérale qui a capitulé dans le conflit de la SNCM et est maintenant sommée de faire la même chose pour le tramway marseillais. Le grave est qu’elle laisse les Marseillais isolés, alors qu’elle devrait appeler tout le monde du travail de France à soutenir cette lutte, qui est pourtant une suite locale, mais normale, du rejet de la Constitution européenne, contre laquelle nous avons précisément voté parce que c’était celle de la privatisation de tous les services publics.

          La révolte des banlieues diminue d’intensité, comme c’était prévisible, mais n’est pas réglée, et ne peut l’être par les mesurettes d’un gouvernement dont le ministre de l’Intérieur l’a déclenchée, pour ses fins électorales. De ce dernier point de vue, il semble que ce soit un succès, la France muette et grelottante assurant, selon les sondages, qu’elle met tous ses espoirs de sécurité en le Grand Pompier-Pyromane. D’ailleurs, voyez comme il est impartial et juste : il a fait arrêter des flics pour violence contre des jeunes. Il est vrai qu’ils avaient été filmés en action… Mais, depuis, l’un des jeunes tabassés a été arrêté à son tour. Tout va bientôt rentrer dans l’ordre.
          D’autre part, heureusement, la partie consciente de la population se réveille, et l’on peut espérer une riche collaboration de la vraie gauche avec les organisations de quartiers et de banlieues qui sortent de l’ombre. Il est temps que la jonction se fasse.

          Le problème des voitures brûlées doit pouvoir se retourner contre le gouvernement. Il faut exiger leur remboursement total, au-delà des règlements d’assurances ou en leur absence, et au prix d’achat des véhicules neufs correspondants aux détruits, par l’État. Sur quel budget ? Suggérons celui du ministère de l’Intérieur. Il est souhaitable que les propriétaires de ces véhicules s’unissent à cette fin.

          Le vote des militants du PS pour leur congrès. C’est le troisième problème d’actualité, même si ses conséquences se placent plus loin dans le temps. Les médias nous ont chanté la grande victoire du courant des Éléphants présidentiables, et le score minable de Fabius. Mais, à bien y regarder, ce que l’on voit, est tout autre chose. Surtout si l’on tient compte des fraudes de l’appareil. Ce qui apparaît aux chiffres rectifiés, c’est bien un PS coupé en deux parties égales, entre droite social-libérale et gauche du «  Non ». La chose aurait sans doute été plus nette si les deux parties de la gauche avaient été au combat unies. Espérons qu’elles s’uniront au congrès. Mais une inquiétude vient des cris de joie qu’un Montebourg lance parce que le score de Hollande and C° est le plus faible des trois derniers scrutins internes. Veut-il en attendre un quatrième ? Et après avoir vu dans l’ombre la suite d’une politique annoncée par le refus d’exiger la démission de Sarkozy, après celui d’annuler toutes les contre-réformes Raffarin-Villepin ? Cela risquerait d’être après un 21 avril en 2007 !

Suite sur l’évolution du Monde

          Un lecteur me reproche mon analyse du tournant de plus en plus à droite du Monde (qui me semble aller de pair avec son changement de costume), en me signalant que dans le même numéro du magazine (5 novembre), où le pseudo-philosophe Taguieff dénonçait l’antilibéralisme et la mondialisation comme un complot antidémocratique et antisémite, le «  Contrepoint » de Jan Krauze était tout à l’éloge de Robert Fisk et de son livre La Grande Guerre pour la civilisation (La Découverte), qui dénonce «  la guerre coloniale » d’Israël et le chantage consistant à jeter «  la vieille accusation d’antisémitisme […] au visage de quiconque ose critiquer l’État hébreu ». Certes ! Certes ! Mais il s’agit du fameux pâté d’alouette et de cheval, fait à raison d’une alouette (demi-page pour Fisk) et d’un cheval (sept pages pour Taguieff).
          Et puis, le 4, Le Monde avait accepté sans barguigner qu’un autre philosophe ( ?) Jean-Luc Nancy, profite du débat de sourd contre et pour Freud et la psychanalyse, pour nous donner un «  Freud, Heidegger, notre histoire » (sic), afin de sauver son feu confrère, le philosophe nazi, par un rapprochement ignoble avec Freud. Qu’il y ait dans l’œuvre de Freud de grandes faiblesses à dépasser, il en va ainsi de tout premier apport scientifique. Et on peut regretter que trop de psychanalystes, en particulier les lacaniens, soient bien peu qualifiés pour le faire, en particulier en ignorant Erich Fromm et ses grands écrits, Grandeurs et limites de la pensée freudienne et La Passion de détruire. Mais les plus graves erreurs de Freud restent de l’ordre du temps de sa pensée et des débuts d’une science. Rien de pareil chez un Heidegger dont la philosophie tout entière n’est en rien contradictoire avec son engagement nazi, et dont il est dommage que les penseurs de gauche qui se sont laissés emberlificoter par son ésotérisme n’en aient pas fait l’autocritique. Quand à le réhabiliter, il faut être de droite, comme le Nancy en question, pour le tenter. Là encore, il y a eu une réponse dans Le Monde, du psychanalyste Pierre Bayard, le 9, moitié moins longue, et où les noms de Freud et de Heidegger étaient dans le sous-titre seulement, en caractères plus petits. Cheval et alouette !

Sur le front international

Là, situation rare, trois bonnes nouvelles la semaine passée :

- Bush s’est fait huer en Argentine par une manifestation de masse et, grâce à Chavez en particulier, son plan de soumission libérale de l’Amérique latine a sombré.
- L’Assemblée générale de l’ONU s’est prononcée pour l’arrêt de l’embargo contre Cuba, à l’unanimité, moins quatre voix. Lesquelles ? Devinez ? Vous avez gagné. Les USA, Israël, les Iles Marshall, et un État si minuscule qu’on ne le voit pas sur la carte ! (demandez à la CIA, elle doit savoir où c’est !).
- Pérès a été battu aux élections du Parti travailliste israélien - et avec lui sa politique de collaboration avec Sharogne -, par Amir Peretz, chef de la centrale syndicale Histadrout. Un espoir de tournant se lève.

15/11/05


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LE TROTSKISME
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De son rédacteur
Michel Lequenne
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