|
|
Comment en sortir ?
La logique de la situation devrait être la démission du Premier ministre, celle du Président, des élections chassant la droite et ouvrant une voie royale à lopposition antilibérale, et au-delà accentuant une bienheureuse crise européenne.
Mais il nen est pas ainsi. Pourquoi ?
La résistance de cet État français tient à ce quil a les moyens de dresser des bastions institutionnels et un labyrinthe législatif pervers derrière lesquels le pouvoir peut se permettre de résister, dans limpunité la plus totale, à la société (qu'il appelle "la rue"). Toutefois, les systèmes ploutocratiques actuels nont pas pu ne pas conserver une certaine dose de démocratie qui est leur alibi idéologique. Mais cest en même temps le point faible de leur cuirasse institutionnelle. Cest en passant par cette brèche quil est envisageable de commencer à détruire la machine de domination.
Nest-ce pas une illusion parlementaire, ou «électoraliste», que de vouloir emprunter cette voie ? Ceux qui le disent se réfèrent aux décennies de gestion loyale du système par les partis de gauche qui avaient renoncé à lidée de la possibilité den finir avec le capitalisme, et donc avec ses États ploutocratiques, et nourrissaient dans les masses travailleuses lillusion quon pouvait en soigner le cancer avec les piqûres deau claire de leurs réformes consensuelles. Mais le PCF s'écrieront certains ! Dans les premières de ces décennies, il nétait quune agence du pouvoir contre-révolutionnaire de lURSS, agissant comme une simple opposition démagogique dans un véritable jeu de compères avec lopposition respectueuse de la social-démocratie. Depuis limplosion du système nomenklaturiste, le PCF a erré longtemps avec le seul souci de se conserver une base électorale, racine de son assise et source de prébendes de ses élus. Pendant tout ce temps, les luttes sociales et ouvrières, jusquaux plus radicales, restaient sans issue politique, séparées les unes des autres et limitées à des revendications de type réformiste. Tout a changé avec la naissance de lopposition à la mondialisation, puis à lEurope libérale.
Laltermondialisme, puis en Europe la victoire du Non contre la Constitution ploutocratique, en France puis en Hollande, soutenu par de larges forces dans les pays qui nont pas pu sexprimer, ou, simplement, on a dû voter sans informations ni débats, manifeste la formation dun immense front antilibéral. Il est celui de toutes les classes travailleuses qui prennent conscience de leur unité sociale et politique et, au-delà même, de ce qu'ils représentent lhumanité contre le monde inhumain du Profit-Roi chosifiant la vie.
Cest ce front, qui a été en France celui du Non, qui depuis mène les luttes, dont celle contre la loi de précarisation générale du travail, laquelle a été victorieuse contre sa première forme, le CPE, et qui est désormais en face de léchéance des élections de 2007, et surtout du piège gaullo-jospinien des «présidentielles».
Et voilà que des voix sélèvent en direction de la mouvance antilibérale, et la conjurent de rester étrangère à l«électoralisme». Mais, participer à des élections est-il de lélectoralisme ? Laccusation fait un usage incorrect de ce mot. Regardons-en la définition dans le Larousse : Électoralisme : Attitude dun parti ou dun gouvernement qui oriente son programme et ses positions en fonction de considérations purement électorales. Si nous voyons effectivement la plupart des partis actuels de ce pays pratiquer un assez parfait électoralisme, ce nest absolument pas la conquête de sièges électoraux qui est le but des militants, organismes et comités antilibéraux qui sengagent dans cette lutte électorale, mais bien dobtenir une nouvelle défaite du système sur son terrain, et de devenir par ce biais l'opposition véritable qui sattaque au système pour le changer.
Est-ce possible ?
Potentiellement, le mouvement libéral en a la force. Mais lénorme machine des institutions et de ses médias sest mise en marche pour le bloquer, le minoriser, et finalement le mettre hors jeu.
En fait, la campagne électorale des Présidentielles a déjà commencé. Et tout se passe comme sil ny avait quune alternative : droite ultra-libérale ou gauche social-libérale ! La décantation des champions des deux camps se dessine :
Pour la droite, laffaire Clearstream ayant éliminé Villepin, Sarkozy reste seul, peu menacé par Bayrou, de lUDF, ce vieux parti du conservatisme catho moraliste, et par De Villiers, à la base encore plus archaïque, à peine revitalisée par des déçus du lepénisme. Quant à Le Pen lui-même, ses chances de doubler son score de 2002 sont minimes. Le battage fait sur ce risque semble surtout un moyen destiné à terroriser les électeurs de gauche et les pousser ainsi à voter Ségolène.
Car la grosse astuce des appareils idéologiques de la classe dominante, cest cette promotion destinée à revenir au système de lalternance qui, pour le libéralisme, est le fameux jeu du « pile je gagne, face tu perds ». Pour séviter un nouveau 2002, dont personne ne sait ce qui pourrait en sortir, les médias ont enfourché la cavale Ségolène, qui doit être le challenger idéal de Sarkozy. À laide de sondages bidonnés et dune campagne à laméricaine (Le Monde a son article de soutien quotidien plus tous ses magazines hebdomadaires, et elle est sur une chaîne de télé au moins tous les soirs
), la voilà ainsi imposée au PS quasiment plus de lextérieur que de lintérieur. Sétant demblée présentée comme blairiste et anti-Jospin, elle est en effet lidéale candidate de gauche de la bourgeoisie. Cependant, pour lélectorat de gauche, lui aussi terrorisé par le spectre dun nouveau 2002, et en plus travaillé en partie par linquiétude des violences dune société malade, et qui de ce fait pourrait être tenté de voter, pour éviter Sarkozy, le moindre mal dun PS jouant la démagogie dun mini-tournant à gauche, la royale Ségolène risque den faire trop.
Sans doute selon ladage que les élections se gagnent au centre, elle n'y va pas avec le dos de la cuiller pour gagner la «majorité silencieuse» : dressage des ados violents par les militaires pour en faire de bons soldats de métier ou des flics, plus punition financière de leurs familles, envoyées elles-mêmes au dressage obligatoire pour formatage «au carré» (Sarko navait pas encore été jusquà ce niveau Le Pen) ; les 35 heures remises en question sous prétexte de leurs effets pervers (produites il est vrai par les concessions de flexibilité et dheures supplémentaires faites à Seillière par Jospin : beau coup double !)
Et pas question dannuler les contre-réformes de la législature. Quant à sa politique européenne et internationale
? Pas de désaccords dans le PS, toujours grand tenant de l'OTAN et de la tutelle américaine.
Certes, le grand état-major du parti a fait disparaître quelques aspérités dans sa synthèse, à la satisfaction de Fabius lui-même. Et ce sera - c'est juré ! le programme pour tous les candidats potentiels. Toutefois, en sortant de la salle du consensus, interrogée sur le gommage de son projet dencadrement militaire, Ségolène a finement signalé que toutes les mesures non-pénales restaient ouvertes. Nous voilà donc prévenus ! Espérons que moins dun an suffira pour que chacun sache que Ségolène, cest Jospin, en pire ! Et donc quelle nest pas le moyen déviter un second 2002, mais celui de le voir se répéter, car, comme le dit Le Pen : "Quant à la sécurité, les électeurs préféreront l'original à la copie."
Comme pour le référendum sur la Constitution européenne, lespace des élections est libre pour lanti-libéralisme. Il y suffit daccords pour des candidatures uniques, et dabord et surtout pour un candidat unique à la Présidentielle, car du maintien de lunité devant ce piège électoral dépend le maintien de lunité du front uni pour toutes autres échéances.
Serons-nous à la hauteur de nos responsabilités ?
Le mouvement des collectifs et comités du 29 mai est largement, voire unanimement, pour des telles candidatures uniques. Son élaboration dune charte est un apport qui donne base politique de départ pour lengagement dun premier candidat. Mais le point faible du front anti-libéral est dans le tiraillement qui a surgi entre les deux organisations politiques qui y sont investies : le PCF et la LCR. Les deux sont bien d'accord pour des candidatures uniques, et d'abord une seule pour la principale échéance
mais sous-entendu que celui-ci soit le sien. Si l'on ne le dit pas, cela ressort des débats clairs comme le jour.
Du côté de la direction de la LCR, on exige du PCF qu'il s'engage, en cas de victoire à la Présidentielle, à ne pas prendre de ministre sociaux-libéraux (du PS) soit qu'il ne pas vendra pas la peau de l'ours qu'on n'a pas encore tué , et si, dans le cas où la "présidentielle" n'était pas gagnée, mais qu'en revanche le front antilibéral uni sortait des législatives avec nombre de députés, que le PCF ne participe pas à un gouvernement social-libéral. Jusqu'ici le PCF a répondu positivement à ces deux questions
Mais pas assez clairement pour la LCR qui n'imagine pas un instant qu'une nouvelle victoire changerait toute la donne, et inversement ne conçoit semble-t-il l'unité que sur son propre programme, et où certains (seront-ils majoritaires ?) veulent en tout état de cause présenter Besancenot, ce qui est d'un assez bel électoralisme pour des révolutionnaires qui ne cessent de le dénoncer chez les autres.
Cet ultimatisme vient de jouer un terrible tour à la LCR. L'Appel à des candidatures uniques, sorti des mêmes cerveaux que la campagne du Non, a vu le PCF s'y rallier et la LCR bouder devant la porte. Fort de son avantage, le PCF s'est mis à mettre en place des "comités d'initiative populaire" [comme le Front du même nom ?] pour les candidatures uniques, qui doublent et risquent (voire veulent ?) mettre hors jeu le mouvement des comités antilibéraux qui survivent en force au 29 mai et à la victoire du Non, ceux-ci risquant ne pas être gagnés d'avance à la candidature Buffet. C'est là une situation dramatique qui risque de briser le mouvement unitaire.
PCF comme majorité (actuelle) de la LCR sont menacés par le poids de leur passé. Ils ne semblent pas comprendre que leurs types de partis appartiennent à l'histoire, et qu'ils ne survivront qu'en se dépassant, précisément en agissant loyalement au sein du grand mouvement antilibéral dont ils croient (ou feignent de croire) qu'il a peu d'importance, ou qu'il ne peut avoir qu'un rôle de force mineure, comme ceux du passé précisément. Ils ne voient pas que les comités sont d'un type nouveau, qu'ils sont maintenant une force politique autonome. Ils sont même la condition de l'unité et de son maintien. Leur porter un coup par des manuvres qui aboutiraient, à une fausse candidature unitaire, entraînant la présentation d'une ou plusieurs autres, non seulement cela aboutirait à une nouvelle situation à la 2002, où la moins mauvaise variante serait, par une ruée des électeurs vers le vote "utile", un retour du PS plus social-libéral que jamais. En outre, le faible score de chaque candidat de division, entraînant démoralisation et la division, interdirait l'unité pour les élections législatives, et donc un grand bond en arrière.
Certes, ce serait une grave défaite, difficile à remonter pour le mouvement antilibéral en France (avec des prolongements en toute l'Europe), mais un désastre assuré pour les organisations politiques qui l'auraient provoqué, sans qu'aucunes de leurs arguties ne puissent les en préserver.
Nous les engageons donc à la réflexion, car les temps sont courts, et chaque mois, chaque semaine même compte.
|
|
|