Notre discours du 14 juillet 2006

Été de mort et de folie !

Horreur n°1 :

Gaza et toute la Palestine


         Pendant que les foules étaient anesthésiées par l'orgie du Mondial de football, le terrorisme colonial israélien pouvait à loisir se déchaîner contre le peuple palestinien. On a le droit de se demander comment ceux qui n'ont cessé de faire la petite bouche contre le mot de "génocide" à propos de cette politique peuvent appeler une « riposte » à l'enlèvement d'UN soldat israélien (effectué clairement pour tenter d'obtenir la libération de centaines de FEMMES et d'ENFANTS, otages dans les prisons d'Israël) qui consiste à détruire la centrale électrique alimentant tout le territoire de Gaza (et en particulier ses hôpitaux), les stations de pompage, des ponts, massacrant en quelques jours et au canon de chars géants des dizaines de civils, bavures pour les assassinats "ciblés" de "terroristes présumés", puis arrêtant huit ministres, dix députés, le président du Conseil législatif et des maires, démocratiquement élus !

          Le soldat Gilad Shalit n'a évidemment été qu'un "prétexte" (comme l'a correctement écrit Denis Siffert dans Politis), bien saisi au moment même où, enfin, le Hamas et le Fatah signaient un texte qui était une reconnaissance implicite de cette réalité d'un État d'Israël, exigée de la part des envahis par les protecteurs des occupants. Le risque existait de la fin d'un affrontement inter-palestinien qui ravissait Olmert et ses sionistes. Le prétexte fut donc saisi pour un haut degré dans l'escalade de la politique génocidaire, menée par un Olmert qui réussit à être pire que Sharon dans le terrorisme d'État, ce qui est un exploit.

          L'aide apportée aux Palestiniens par le Hezbollah du Liban, en enlevant deux autres soldats israéliens, voit la politique du marteau-pilon s'élever d'un cran. Tsahal entre au Liban, détruit des ponts, tue des civils. Mais tout cela, pour les Etats-Unis, c'est le droit d'Israël "de se défendre et de se défendre la vie de ses citoyens." Le Hamas n'est-il pas sur la liste des "organisations terroristes" de M. Bush, que l'Union européenne s'est empressée d'accepter avec sa docilité ordinaire à la Voix de son Maître ? Au mieux, comme l'ONU, on proteste qu'il y a un peu d'exagération. Nos merdias n'ont pas été en reste dans leurs sixièmes pages (Mondial obligeait !). Olmert, comme Sharon, se fout éperdument des criailleries, qu'il sait être "pour la galerie". Il poursuit ses massacres : le 7 juillet, il a écrasé de bombes Beit Hanoun, sous prétexte que c'est de là que partent les roquettes artisanales (Le Monde a appelé ça : "accroître la pression") . Il n’y a plus de médicaments dans la bande de Gaza ; la population encerclée crève de faim, et avec un magnifique cynisme, Olmert accuse ses victimes de provoquer l'état de guerre… qu'il instaure.

          Au lendemain des larmes de crocodile sur le génocide des Juifs par le nazisme – accompagné de l'exigence, adressée à la Turquie, de reconnaître le génocide des Arméniens, il y plus de soixante-dix ans -, enfin sur les "aspects négatifs" du colonialisme, les yeux des Grands des Grandes Puissances et de leurs valets sont devenus myopes, voire aveugles, au génocide des Palestiniens que seules pourraient arrêter les plus énergiques mesures de rétorsion, d'embargo, et de mise au ban de l'humanité.

          Mais il est vrai qu'on ne peut guère reprocher aux autres ce que l'on fait soi-même, car…
 
    

Horreur n°2 :

La Tchetchénie

          La Russie de Poutine est muette. Elle a aussi son génocide à traiter. Les résistants tchétchènes sont aussi devenus des rebelles "terroristes" (comme ceux d'Europe sous l'occupation nazie), par échange de bons offices, sur la liste de M. Bush, faisant consensus des Grands. Ceux-ci ont salué comme il convient l'assassinat de Bassaev, coupable, en particulier, du massacre des enfants de Beslan… effectué par l'armée russe aux fins de leur délivrance musclée. L'armée des tueurs, tortionnaires et violeurs de la nouvelle Sainte Russie pétrolière et capitalisto-démocratique va pouvoir continuer son œuvre de paix des cimetières. Quant à notre Europe des "droits de l'homme", elle considère que ceux-ci sont secondaires et de peu de poids dans ses rapports avec une puissance qui devient incontournable à la fois sur les plans pétrolier et financier.

          Si Poutine a des divergences avec Bush, ce n'est pas de l'ordre de la lutte contre "le terrorisme", puisque, donnant-donnant, chacun a le sien. Les petits désaccords tiennent aux "clients" différents. Par exemple, que l'on ne touche pas au Soudan avec qui la Russie est en affaire, et donc qu'on laisse ce pays pratiquer son propre génocide au Darfour, il ne dira rien pour l'Irak.

Horreur n°3 :

Le chaos de l'Irak

          Cela va finir par une guerre civile ! disent nos merdias, alors qu'on est en plein dedans. La monstruosité de la politique yankee de Bush en Irak a été en même temps d'une imbécillité himalayesque :

  • croire que les chiites accepteraient d'être colonisés sous prétexte qu'on les délivrait de Saddam Hussein, cela a abouti au chaos de cette guerre de religion impossible à maîtriser ;
  • se précipiter sur le pétrole sans se soucier de reconstruire ce qui avait été détruit, de rétablir en priorité l'électricité et l'eau, c'était dresser contre l'occupant même ceux qui refusaient la guerre des religions ;
  • organiser le jugement de Saddam tout en accumulant plus de crimes, de massacres et de tortures que lui, c'était contribuer à sa réhabilitation dans l'esprit d'une grande partie de la population.
  • croire pouvoir gagner une guerre et coloniser un pays par les moyens de la "guerre scientifique", c'était oublier la leçon reçue au Vietnam tout en ignorant la différence entre les "peuples arriérés", oublier que toutes les guerres coloniales ont été perdues depuis un demi-siècle, et que les armes de désespoir des faibles peuvent être plus puissantes que les super-armements des puissants.

           L'Irak est en feu ; les "alliés" du super-impérialisme foutent le camp en douce ; les flammes s'étendent : en Afghanistan, les talibans reprennent avec les chefs de guerre le contrôle du pays. Mais là, notre Chirac, maintenant désireux de bonnes relations avec la Maison Blanche, depuis qu'il a tant d'ennuis dans sa propre maison, a enfin accepté que des troupes françaises, de l'OTAN, aillent se foutre dans le bourbier afghan. Encore un oubli historique : celui que l’Afghanistan n’a jamais pu être occupé durablement, ni colonisé, ni subir un joug venu de l’étranger. Mais nos Grands ignorent l’histoire comme la psychologie des peuples jaloux de leur autonomie et de leur dignité.

Quelle résistance à l ’horreur ?

          Ce qui indigne les Grands, c’est qu’on leur résiste. Que l’Iran et le Corée du Nord veuillent se doter d’armes susceptibles de dissuader les impérialistes de les attaquer, c’est ça qui est l’horreur pour eux et pour leurs et nos merdias .

          Horreur que l’Iran, dont le régime est également sur la liste Bush des Etats voyous, menacée à la fois d’une intervention américaine et de bombardement nucléaire par Israël, veuille avoir aussi sa bombe, comme le Pakistan s’en est doté pour faire face à celle de l’Inde, ce n’est pas admissible pour la Communauté internationale unanimement indignée. Heureusement pour les Iraniens qu’ils ont du pétrole. Sans cela ils seraient déjà écrasés sous les bombes « préventives ». Personne ne semble penser que l’exigence de désarmement nucléaire immédiat d’Israël et d’un programme de désarmement progressif des Etats-Unis convaincrait mieux l’Iran que le pacifisme verbal de ceux qui mettent la région à feu et à sang.

          Et la Corée du Nord ? Elle « provoque » le monde en lançant des missiles capables d’atteindre l’A1aska, voire plus loin. Simple question : les USA n’ont-ils pas chez eux des missiles capables d’atteindre la Corée du Nord ? Si l’on décidait de les supprimer des deux côtés ?

          Certes nous plaisantons ! Mais l’on nous rétorque que ces deux pays ont d’horribles régimes. Certes, certes, quoiqu’à notre connaissance le sang y coule moins qu’en Irak, en Palestine et autres lieux où nos belles démocraties apportent leur idéal de paix, et leur belle économie libérale qui ruine, affame, laisse crever de misère et de maladies (les brevets doivent être respectés, et les pauvres payer le prix fort, ou crever en toute pure liberté) l’Afrique surtout, et divers coins du monde, un peu sur tout le globe.

          Et voilà la dernière horreur, qui nous concerne tout particulièrement : cette Afrique néo-coloniale qui crève de misère, à la fois du fait des legs du passé, de l’exploitation de ses richesses par les multinationales, de l’imposition des produits dégueulasses (voir Monsanto, entre autres), sous le joug des dictateurs, élus en bourrant les urnes, mercenaires grassement payés des impérialistes. Seule solution pour les jeunes de ces populations, émigrer vers le Nord riche, à leurs risques et périls. Payant cher des passeurs escrocs, les voilà prenant la mer sur de frêles esquifs, et se noyant à un taux inconnu. Malgré les hauts murs de Tanger, par les Canaries ou la Sicile, certains parviennent en Espagne, en Italie, en France.

          Chez nous, ils vont trouver les lois Sarkozy. Nous n’avons pas demandé l’autorisation à leurs ancêtres pour s’emparer de leurs terres et les y faire travailler à la schlague. Nous ne leur avons pas demandé leur avis, à ces pères et grands-pères, pour les faire venir se faire tuer dans nos guerres inter-impérialistes. Mais venir chez nous maintenant, croyant souvent aux valeurs qu’on a fait briller à leurs yeux dans les vieux manuels scolaires, dupés par la publicité mensongère de la télévision, alors qu’ils n’ont pas toute les qualités pour se faire exploiter par le post-modernisme libéral. Ça ! c’est inadmissible : une invasion !


Notre résistance

          C’est un beau mouvement spontané, dans la ligne même de celui du Non au référendum sur la Constitution libérale de l’Europe et de celui du rejet du CPE de la précarité pour tous qui s’exprime dans le mouvement contre la chasse aux enfants de sans-papiers, scolarisés et intégrés, nés le plus souvent sur cette terre, au-delà de leurs instituteurs, dans les familles d’enfants français, puis plus largement encore dans tout le monde du travail et de la pensée. Même les sociaux-libéraux ont été obligés de prendre le train en marche. La désobéissance civile s’impose. Une légalité ignoble ne saurait être légale ! Nous voilà sur le chemin du droit à l’insurrection de la grande et belle Constitution de 93 !

          Mais ces luttes, pour l’instant, restent fragiles face au corset de fer des institutions de la Ve République de coup d’Etat. Aucune lutte sociale, même victorieuse, ne sera assurée tant qu’on ne se sera pas engagé dans la voie de la mutation du système.

          Et l’échéance première, cruciale, c’est celle de cette élection présidentielle, véritable piège d’« alternance » dont Jospin, la faisant placer avant les élections législatives, a durci le caractère présidentialiste.

Le drame actuel, c’est l’incompréhension de ce caractère de piège par des organisations politiques qui continuent à y voir une élection comme une autre, où l’on se compte et mesure ses forces. Pourtant, 2002 avait montré le caractère mortel de ce système. Le paradoxe actuel, c’est que le mouvement unitaire est plus clairvoyant que les partis, PCF et LCR, et comprend qu’il faut un candidat unique du mouvement antilibéral, sinon pour être au second tour, du moins pour affirmer la puissance du courant par son unité, condition de ses lendemains.

          À l’heure où nous écrivons, une petite majorité de la LCR a pris le risque historique de présenter un candidat qui ne peut en aucun cas être « unitaire », et qui risque ainsi de faire capoter deux ans de luttes et de succès. Son exigence à l’égard des autres candidats à la candidature, c’est qu’ils s’engagent à ne participer à aucun gouvernement futur social-libéral, donc avec le PS. Bien que, pour le PCF, Marie-George Buffet réponde positivement à cette exigence, mais il est vrai de façon très générale, ne suffit pas à la LCR, qui, de son côté refuse de répondre clairement à la question du vote éventuel de « moindre mal » au second tour de la Présidentielle, alors que cette même LCR avait pris cette position en 2002, pourtant pour un candidat, Chirac, encore plus à droite qu’une probable Ségolène Royal. Jeu de dupes où tout le monde risque de perdre toute la partie.

          Il faut revenir aux scénarios possibles pour répondre clairement à toutes les éventualités :

  • soit un candidat unique est au second tour, et il faudra mettre les sociaux libéraux au défi de se ranger clairement à droite ou de voter pour lui, sans concessions préalables, mais dans la victoire aux législatives qui devraient s’ensuivre, on ne peut exclure la participation de collaborations d’anti-libéraux du PS (par exemple du type Filoche) :
  • soit c’est le/la candidat(e) social-libéral(e) qui l’emporte, et on vote pour lui/elle au second tour sans condition ni engagement, et on ne participera pas à leur gouvernement à l’égard duquel on pourra pratiquer un soutien critique éventuel.


          Ne pas répondre à ces deux éventualités, ce serait manifester, de la part du PCF une manœuvre à l’égard du mouvement anti-libéral, et de la part de la LCR la manifestation d’un sectarisme qui confirmerait une pente actuelle vers l’opposition purement négative à la LO. Cela serait très grave, signifierait la mort du mouvement trotskyste, tombant sous le coup des condamnations du gauchisme par Lénine dans la Maladie infantile du communisme, dans une dérive du type « troisième période » du Komintern (la social-démocratie égale à la pire droite) et du « plébiscite brun » en Allemagne ( la SD pire que le fascisme), car refuser le moindre mal, ce serait choisir Sarkozy, avec les très graves conséquences qu’il pourrait en découler pour ce qui reste de démocratie dans le système actuel. Ce serait un grand pas de plus, partant du pays d’où l’on peut attendre le plus pour la résistance, dans l’horreur de la barbarie capitaliste.

14 juillet 2006
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Le Journal intempestif est heureux
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LE TROTSKISME
UNE HISTOIRE SANS FARD

De son rédacteur
Michel Lequenne
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